Par Raphaël MVOGO
YAOUNDE, 2 septembre (Xinhua) -- A travers les présidents sud-africain, sénégalais et tchadien, l'Afrique sera représentée au sommet du G20 qui se tient les 4 et 5 septembre à Hangzhou, en Chine, alors que cette dernière peut "utiliser son statut de membre permanent du Conseil de sécurité et sa puissance économique et militaire pour contribuer à une sorte de régulation des relations entre les pays" et promouvoir la paix et la sécurité, estime l'économiste camerounais Dieudonné Essomba dans une interview accordée à Xinhua.
Question : La Chine accueille les 4 et 5 septembre le prochain sommet du G20. L'Afrique y sera représentée par trois chefs d'Etat, le Tchadien Idriss Déby Itno, président en exercice de l'Union africaine, le Sud-africain Jacob Zuma et le Sénégalais Macky Sall. Quel bénéfice ces assises peuvent-elles apporter à ce continent?
Réponse : Il faut d'abord noter que les sommets sont des rencontres à un haut niveau où chaque segment de la communauté mondiale présente ses problèmes. Il est donc évident que l'Afrique, en ce qui la concerne, va présenter ses problèmes qui sont connus, qui renvoient à son développement, à la lutte contre la pauvreté, au besoin de financements, à des problèmes de gouvernance. Donc, cette rencontre au sommet consacrera une fois de plus les préoccupations de l'Afrique, qui trouvera le moyen d'aller présenter réellement quels sont ses problèmes.
Q : Les discussions lors de ces assises porteront notamment sur des sujets tels que l'innovation, la gestion et la réforme économique et financière, la libéralisation du commerce international et la mondialisation ou encore la lutte contre la corruption. Quelle position le G20 doit-il adopter face à ces grands dossiers?
R : Il est à noter que l'Afrique a connu au cours des dernières années un très grand nombre de réformes. Ça a commencé dans les années 1990 avec les ajustements structurels. Donc, les préoccupations évoquées là, les préoccupations de gouvernance, les besoins d'innovation, l'ouverture aux échanges, sont des préoccupations devenues classiques du point de vue de l'Afrique. Il n'y a absolument rien qui soit nouveau. Par contre, ce qui devrait être réaffirmé, c'est premièrement l'engagement de l'Afrique à répondre à ces besoins, et en même temps l'incorporation de nouveaux paramètres comme l'émergence de la Chine. L'émergence de la Chine est venue en quelque sorte modifier quelque peu les termes de la problématique. Ce qui se passait autrefois où le monde était pratiquement polarisé en Europe, où l'Afrique avait essentiellement pour partenaire presque exclusif l'Europe, aujourd'hui la situation a totalement changé. La Chine est venue avec son modèle de coopération, sa perception des choses. C'est ça qui, en quelque sorte, apporte du neuf dans ces problématiques qui datent déjà d'un peu. Donc, ce sont des vieilles problématiques, mais qui prennent une tonalité particulière à partir de l'émergence de la Chine et même des autres puissances d'Asie du Sud-Est comme l'Inde et autres.
Q : Dans cette optique, la contribution de la Chine dans la croissance et la gouvernance mondiale vous apparaît-elle importante?
R : La Chine est le moteur de la croissance mondiale aujourd'hui, puisque les pays développés d'une manière générale plafonnent. Ils n'ont plus une demande vigoureuse. Ils n'ont pas un commerce extérieur vigoureux. Donc, la puissance aujourd'hui qui monte, ensemble avec les autres puissances émergentes, c'est la Chine, dont la progression sur le commerce extérieur est telle qu'elle devient pratiquement le premier partenaire de l'Afrique. Cette mutation a nécessairement entraîné d'importantes réformes dynamiques au sein de l'Afrique. La croissance récente de l'Afrique, à partir des années 1990 jusqu'à aujourd'hui, a essentiellement été alimentée par la demande chinoise. Et donc la Chine constitue aujourd'hui, on pourrait dire, la polarité essentielle en termes de développement. Parce que les vielles puissances plafonnent. Quand elles ont un taux de croissance de 1%, 2%, c'est déjà extraordinaire. Quand la Chine dépasse généralement 7%, 8% et avec plus d'un milliard d'habitants, on comprend très bien que c'est véritablement un puissant moteur. Ce que la Chine a apporté, c'est en quelque sorte un nouveau souffle en termes de croissance mondiale, et ce nouveau souffle, évidemment que les pays d'Afrique en ont bénéficié.
Q : Selon vous, est-ce qu'il y a une position que le sommet de Hangzhou doit adopter concernant cette croissance mondiale que vous évoquez, l'intégration des marchés, la réforme économique et financière, la lutte contre la corruption et les transferts illicites d'argent dont l'Afrique est la principale victime?
R : Il faut noter que certaines problématiques datent des années 1960 : les problèmes de corruption, de transferts illicites d'argent. Mais il faut aussi relever que ces problèmes ont en quelque sorte été encouragés par le néocapitalisme imposé par les puissances occidentales, notamment avec les paradis fiscaux, avec l'optimisation fiscale. Aujourd'hui, quand les gens veulent parler des problèmes de sincérité, d'honnêteté, on semble oublier quand même qu'un certain nombre de dispositifs institutionnels ont en quelque sorte encouragé cela. Il est important que l'économie chinoise et l'économie africaine soient complémentaires. Il faudrait donc trouver des cadres de coopération qui vont permettre à ce que les deux économies développent un partenariat gagnant-gagnant permanent. Je crois que c'est beaucoup plus sur ce point-là qu'il faudrait mettre l'accent. La Chine a encore une importante marge de progression en termes de croissance. L'Afrique elle-même a encore tout son potentiel. Donc, c'est deux parties du monde qui ont une grande marge de progrès.
Q : Le président Xi Jinping tiendra probablement des entretiens en tête-à-tête avec ses homologues africains. Quel discours les deux parties devraient-elles tenir?
R : Il faut d'abord noter que les rapports entre la Chine et nos pays sont un peu plus équilibrés. Ce ne sont pas des rapports emprunts de la logique dominant-dominé, et donc ça facilite le discours. Le président chinois va certainement tenir à ses homologues africains un discours de fraternité et un discours de partenariat, c'est-à-dire : "Je ne suis pas là pour venir contrôler vos choix. Je ne vous impose pas les choix, choix de démocratie, choix de ceci ou de cela. Je pense que vous êtes suffisamment responsables pour faire vos choix. De même moi aussi j'ai mes valeurs. Ce qui est important, c'est qu'on mette l'accent sur les cadres de collaboration. Moi j'ai la technologie. Je peux vous la donner dans une logique gagnant-gagnant". C'est pour cela que j'ai parlé de délocalisation. La Chine envisage d'ailleurs dans son programme de coopération avec l'Afrique des délocalisations. Ces délocalisations, qui sont aussi un nouveau souffle de la Chine mais en même temps un besoin pour les pays d'Afrique, je crois que ces aspects-là vont prendre un rôle très important. On va plus réfléchir en termes de co-industrialisation, c'est-à-dire d'industrialisation commune Afrique-Chine, et non plus (avec) la logique qui a prévalu jusqu'à aujourd'hui, où cette logique est beaucoup plus asymétrique.
Q : Face à ses autres partenaires du G20, quelle est la démarche que la Chine doit adopter pour améliorer la croissance mondiale qui stagne, puis la stabilité et la sécurité dans le monde?
R : La dérégulation a déstabilisé l'économie mondiale. La Chine s'en sort parce qu'elle contrôle mieux son économie. Maintenant, les gens qui ont laissé les marchés financiers contrôler leurs économies subissent aujourd'hui la conséquence de ça. Alors, que peut faire la Chine? Ce n'est pas à la Chine d'aller imposer la régulation des marchés en Europe et aux Etats-Unis. Il a même fallu qu'on ait la crise des subprimes pour que l'Etat américain comprenne la nécessité de réguler. Donc, les crises récurrentes qu'on connaît ont une cause, c'est la dérégulation, c'est-à-dire que c'est le fait qu'on ait remis aux puissances financières tous les pouvoirs. Vous ne pouvez pas avoir une économie harmonieuse quand il n'y a aucune règle, quand la seule règle est le capital. Maintenant la Chine n'a jamais posé un acte de manière à créer une crise en Europe ou aux Etats-Unis. Pour stabiliser à nouveau l'économie, il faudrait que les pays développés aujourd'hui comprennent qu'une économie totalement dérégulée, dans laquelle il n'y a pas d'Etat, ne peut pas maintenir sa stabilité. Ce n'est pas le problème de la Chine. La Chine à son niveau, son rôle, parce qu'en Chine il y a l'Etat. La Chine n'est pas une économie entre les mains du capital. C'est une économie parfaitement harmonieuse, où les éléments de capital, les éléments de main d'œuvre et les éléments d'Etat sont présents. Ailleurs, on a tout sacrifié au capital. C'est le capital qui domine tout. Ce qu'on appelle les classes moyennes sont en train de disparaître en Europe.
Q : Pour la paix et la sécurité, quel rôle la Chine doit-elle jouer de concert avec les autres membres du G20?
R : Comme toute puissance, la Chine a son mot à dire. Mais on notera que les conflits actuels sont surtout entretenus par les pays occidentaux, que ce soit au Moyen-Orient ou ailleurs. La Chine souvent n'intervient que comme un comparse et souvent même à travers ses prises de position à l'ONU. Maintenant, c'est essentiellement à ce niveau-là qu'elle peut agir pour la paix, n'étant pas elle-même partie prenante des conflits. Elle peut simplement utiliser son statut de membre permanent du Conseil de sécurité et sa puissance économique et militaire pour contribuer à une sorte de régulation des relations entre les pays. Mais il ne faut pas attendre qu'elle se mêle des conflits, parce qu'elle n'a pas montré au cours de l'Histoire de tendance à se mêler des affaires des autres.