Par Eléonore de Vulpillières
PARIS, 18 juin (Xinhua) -- Capitale française de l'horlogerie, Besançon recèle une histoire horlogère riche et un patrimoine vivant. Un voyage dans cette ville de l'Est de la France permet de témoigner de la vigueur des savoir-faire horlogers transmis d'une génération en génération et reconnus par l'UNESCO, ainsi que de la quête perpétuelle de l'Homme pour mesurer le temps.
UNE RICHE HISTOIRE HORLOGERE
"Ô temps ! Suspends ton vol", écrivait Alphonse de Lamartine dans son poème "Le Lac". A Besançon, chef-lieu du département du Doubs de la région Bourgogne-Franche-Comté, on a conscience du temps qui passe. Située à proximité de la frontière suisse, la ville a vu naître son essor horloger au XVIIIe siècle avec l'arrivée d'artisans venus de Suisse. Grâce à son savoir-faire, sa main-d'œuvre qualifiée et l'organisation d'une exposition universelle ainsi que la fondation d'une école d'horlogerie dans les années 1860, Besançon s'est imposée peu à peu comme un centre majeur de production, ce qui a forgé sa réputation de "capitale française de l'horlogerie".
"Au tournant des années 1900, Besançon produisait 90% des montres fabriquées en France, et c'est une tradition qui est toujours bien présente aujourd'hui", a rappelé Nathan Sourisseau, conseiller municipal à la ville de Besançon et conseiller communautaire délégué de Grand Besançon Métropole. D'après lui, les gens en Franche-Comté disent souvent "avoir meilleur temps de faire" pour exprimer le sens "d'avoir intérêt à faire". Aujourd'hui, la tradition horlogère y perdure, malgré la concurrence étrangère et les transitions technologiques, à travers des manufactures artisanales, des formations spécialisées et le Musée du Temps qui témoigne du riche passé de la ville dans ce domaine.
Au Musée du Temps, installé dans l'ancien palais Granvelle, dans le centre-ville de Besançon, les visiteurs découvrent l'histoire de la mesure du temps, de l'Antiquité à nos jours. Le musée expose une impressionnante collection d'horloges, montres, cadrans solaires et instruments scientifiques, illustrant le savoir-faire horloger de la région. On peut y voir des pièces rares, comme un beau pendule de Foucault, des régulateurs de précision ou les montres historiques de LIP, l'une des marques emblématiques de l'horlogerie française.
Tout comme LIP, un certain nombre d'artisans et d'entreprises francs-comtois restent actifs et préservent l'héritage horloger local avec un esprit d'artisanat ou d'innovation. "Aujourd'hui, on a environ une centaine d'entreprises en France qui sont directement des manufactures horlogères (...), cela correspond à 4.000 emplois et la majorité de ces emplois sont en Franche-Comté, plus spécifiquement à Besançon et au-delà", a précisé Nathan Sourisseau.
DES "GARDIENS DU TEMPS"
Agé de plus de 60 ans, François Boinay est un passionné d'horlogerie. Dans son atelier, des pendules de tous types, tailles et époques différentes font entendre leur tic-tac régulier et des sonneries qui donnent du rythme à cet endroit singulier.
Cinquième génération d'une lignée d'horlogers, François Boinay a préservé la tradition familiale en fondant L'Orlogeur, une auto-entreprise de réparation d'horloges et de pendules située aux Ecorces, dans le Doubs, à environ une heure de route de Besançon. Après avoir aménagé un atelier dans sa ferme comtoise, il y passe ses journées pour restaurer des pièces anciennes, parfois sans plans, en fabriquant ou en dénichant les composants nécessaires.
"Je suis passionné par la mesure du temps, la mécanique, la précision, je cherche à retrouver les gestes de nos ancêtres, cela m'émerveille", a-t-il raconté. Le processus de réparation passe par une phase d'observation, puis un travail de démontage, de nettoyage et de remplacement des pièces défaillantes, puis de remontage, avec la satisfaction de redonner vie à des objets parfois séculaires qui tiennent à cœur aux familles. Pour lui, le moment où "on a tout remis en état, tout réparé, et le tic-tac redémarre" est la chose la plus "extraordinaire".
Philippe Vuillemin, à la tête de la Manufacture Vuillemin, qui s'autoproclame la dernière en France à fabriquer intégralement des mouvements mécaniques d'horloges comtoises traditionnelles. Après avoir racheté l'entreprise Seramm en 2010, ce grossiste en horlogerie de formation a modernisé la production en intégrant des designs contemporains et des finitions haut de gamme, tout en préservant les techniques traditionnelles.
Depuis 2012, la manufacture est labellisée "Entreprise du Patrimoine Vivant" et se distingue par sa maîtrise complète du processus de fabrication, de la production des composants à l'assemblage final jusqu'au contrôle qualité des plus minutieux. "Ce label représente une certaine fierté, car cela nous a ouvert à des clients internationaux, et notre savoir-faire est reconnu partout", a expliqué M. Vuillemin lors d'un entretien accordé à Xinhua dans sa manufacture à côté de Besançon.
Plus de cadran en émail, plus de fronton en laiton, ni de caisse en bois... Les mécanismes sont apparents, laissant voir le temps s'écouler. Il collabore également avec des artistes pour créer des modèles uniques, intégrés à la décoration d'intérieur. "J'ai à cœur de fabriquer des produits d'exception dans le respect de la tradition horlogère tout en créant des modèles actuels. C'est ma vision du temps".
UN PATRIMOINE IMMATERIEL RECONNU PAR l'UNESCO
En décembre 2020, l'UNESCO a inscrit les savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d'art sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Cette reconnaissance met en lumière une tradition vivante emblématique de l'Arc jurassien franco-suisse, s'étendant de Genève à Schaffhouse, de Bienne à Besançon, et incluant des spécialités telles que la fabrication d'automates et de boîtes à musique dans la région de Sainte-Croix.
Ces savoir-faire, à la croisée des sciences, des arts et de la technique, conjuguent des compétences individuelles et collectives, théoriques et pratiques, dans le domaine de la mécanique et de la micromécanique. La candidature, portée conjointement par la Suisse et la France, a été saluée pour sa mise en évidence de l'importance du patrimoine culturel immatériel dans un espace transfrontalier.
"Cette labellisation permet un soutien au tourisme et à la réindustrialisation du territoire", a expliqué M. Sourisseau, que ce soit au niveau national ou en partenariat avec des villes suisses comme la Chaux-de-Fond ou encore Genève.
Au niveau régional, un événement appelé "Les 24 heures du temps" est organisé à Besançon tous les ans autour du solstice d'été, en juin, depuis 2014. Devenu un rendez-vous annuel dans le monde horloger, cet événement vise à exposer les savoir-faire horlogers de ce territoire à tous les publics et plus encore ces dernières années aux jeunes et aux étudiants, les invitant à mieux connaître les métiers de la filière.
A travers une histoire riche et toujours vivante, Besançon affirme ainsi sa volonté de faire vivre et rayonner son patrimoine horloger, aussi bien matériel qu'immatériel. Fin
