Par François Mairesse, Président de l'Icofom et Wanwan Li, Chercheur, Institut de Recherche du Musée national de Chine

La journée internationale des musées a été lancée en 1977, par l'ICOM, il y a plus de quarante ans. Cette journée est célébrée, avec plus ou moins d'importance, par la plupart des musées dans le monde, notamment ceux qui sont membres de l'ICOM. L'année dernière, il y en aurait eu plus de 37.000 qui auraient participé à cet événement, dans plus de 150 pays.

L'origine de la Journée internationale des musées

Un tel type d'événement repose sur une tradition ancienne. Dès les années 1950, l'un des principaux buts de l'ICOM vise à rendre le musée le plus populaire possible, de s'adresser au grand public, et pas seulement aux spécialistes ou aux initiés. En 1960, l'Unesco présente une recommandation pour rendre les musées accessibles à tous, soulignant l'importance d'ouvrir les musées à toutes les classes sociales de la société, de les rendre si possible gratuits et d'organiser des visites guidées et des actions de médiation afin de rendre le musée populaire auprès de toutes les classes d'âge. C'est dans cette perspective que la journée internationale des musées a été envisagée : créer une activité, mondiale, visant durant une journée à rendre le musée le plus accessible possible, en offrant à tous un moment de gratuité et de convivialité, le plus souvent ponctué d'animations diverses. Très rapidement, ce moment est devenu, pour de nombreux musées, très important, et l'ICOM, chaque année, présente une thématique précise, afin que les musées coordonnent des activités liées à ce sujet.

18 – 29 mai 1977, 11ème Conférence générale © International Council of Museums

Le monde a bien évolué depuis 1977, date de la création de ces journées ! A cette époque, les musées étaient loin d'être aussi populaires qu'ils ne le sont maintenant. Ce n'est qu'à partir de cette époque qu'on a observé deux phénomènes distincts dans le monde, qui ont tous les deux contribué à cette transformation. Le premier date des années 1970 et est lié à ce que l'on a appelé la « nouvelle muséologie ». Certains professionnels de musées ont ainsi proposé d'inverser les valeurs des musées : traditionnellement, c'étaient les objets et la collection qui étaient au centre de l'activité muséale ; la nouvelle muséologie a proposé que ce soit la société, les visiteurs qui soient au centre, et qu'ils jouent un rôle d'acteur (pas simplement de visiteur) en participant à la préparation des activités (les expositions, des animations, etc.), notamment dans ce qu'on a appelé des écomusées, ou des musées de voisinage. Le second phénomène est plus important encore, et est lié à la venue du marketing dans les musées, durant les années 1980 et 1990, en parallèle avec le développement de l'économie de marché dans le monde. C'est dans cette perspective que de nouveaux professionnels de musées, spécialistes du marketing et de la publicité, ont progressivement développé de nouveaux produits pour les musées : des expositions temporaires plus séduisantes, avec une politique de communication plus affirmée, des nouveaux services d'accueil du public, mais aussi le développement de restaurants et de boutiques dans les musées. C'est essentiellement ce développement qui a rendu les musées nettement plus populaires aux yeux du public.

The Courtyard Café © Victoria and Albert Museum, London

Le développement des musées dans ces dernières années

Le développement actuel des musées, notamment en Europe et en Amérique, où ils sont encore actuellement les plus nombreux, est très largement conditionné par la logique du marketing. Si les expositions temporaires continuent de jouer un rôle important, on assiste de plus en plus à la création de très nombreux autres événements dans les musées : soirées spéciales, invitations de star du cinéma ou de la musique, débats, défilés de mode, etc. Les expositions temporaires coûtent de plus en plus cher, et certains muséologues pensent que les formes plus courtes, événementielles, pourraient peut-être à terme devenir plus nombreuses que les expositions.

C'est évidemment dans cette perspective que la Journée internationale des musées peut être vue. Il s'agit d'un événement, mondial, et parfois très important pour de nombreux musées. Pour quelques autres grands musées attirant des millions de visiteurs, qui organisent des dizaines d'autres activités chaque année, c'est un événement parmi d'autres. Mais c'est un événement symboliquement important, car il est organisé dans le monde entier, et relie, en quelque sorte, tous les établissements ensemble, montrant qu'ils appartiennent tous à une même communauté.

Friday Late © Victoria and Albert Museum, London

La Journée internationale des musées en Chine

Suite à son adhésion à l'ICOM en 1983, la Chine célèbre tous les ans la Journée internationale des musées en organisant des événements. Attachant une grande importance à cette Journée, le monde muséal chinois la considère comme une occasion exceptionnelle permettant de sensibiliser les publics à la cause des musées et en profite pour leur faire mieux comprendre les musées et connaître les valeurs de ces derniers. La Chinese Museums Association présente l'origine de la Journée et publie ses thèmes et affiches à travers des moyens divers dont son site Internet. La National Cultural Heritage Administration coordonne depuis 1998 les événements de sensibilisation à la Journée dans toute la Chine qui abordent tous les aspects du secteur muséal et organise à cette occasion diverses actions associées telles que l'affichage et la distribution de supports de communication, l'ouverture du musée, gratuite, préférentielle ou en nocturne, ou encore une ouverture dédiée aux communautés spécifiques, des expositions, des conférences, des séances d'éducation, des concours, des spectacles ainsi que des activités « musée à l'école, aux communautés, aux zones rurales, aux entreprises et aux casernes ». Grâce à la vulgarisation des technologies informatiques en Chine, ces actions se font de plus en plus connaître au plus grand nombre grâce aux nouvelles technologies médiatiques. En témoigne le compte Weixin, équivalent chinois de Twitter, de la Chinese Museums Association qui a été créé le 18 mai 2014. Aux événements organisés par les autorités publiques, s'ajoutent diverses célébrations, d'importances diverses, proposées par les musées privés. Depuis 2009, la National Cultural Heritage Administration organise également des événements dans le cadre de la « Ville d'hôte » chinoise de la journée internationale des musées, une plateforme facilitant la médiation entre le public et les musées et promouvant la visibilité des musées dans la société. Jusqu'en 2018 dix villes chinoises, sélectionnées en fonction de critères divers, ont successivement accueilli ces événements mettant en avant, entre autres, les caractéristiques de la ville à l'honneur : Chongqing, Guangzhou, Shenyang, Nanning, Jinan, Nanjing, Shijiazhuang, Hohhot, Beijing et Shanghai.

Exposition « Souvenirs d'une belle époque : le siècle de la Qipao», organisée dans le cadre de la Journée internationale des musées 2014 © Nanjing Museum

Musée de Suzhou en nocturne, Journée internationale des musées 2018 © Suzhou Museum

Bénéficiant de ressources provenant des quatre coins du pays, les événements des Villes d'hôte, d'ampleur nationale et ainsi exemplaires, constituent désormais un modèle. Ces évènements, très divers, se déclinent en plusieurs dimensions. Ils doivent également correspondre au thème annuel de la Journée internationale des musées et privilégier l'identité de la ville d'accueil. Nanjing accueillant l'édition 2014, le Musée de Nanjing, lieu de célébration majeur de la ville, a organisé l'exposition « Souvenirs d'une belle époque : le siècle de la Qipao», qui évoque l'importance de la ville dans l'histoire moderne de la Chine. En revanche, « Les collections des musées qui nouent des liens » et « Le Conte de deux cités : la conservation de cités historiques à Nanjing et à Édimbourg», expositions organisées par l'établissement dans le même cadre, font écho au thème de la Journée internationale des musées 2014 : « Les liens créés par les collections des musées ». Les cérémonies d'ouverture des événements des Villes d'hôte sont aussi importantes. Les représentants de la National Cultural Heritage Administration, de la région chinoise d'accueil, de l'ICOM et des musées internationaux y sont souvent présents. Elles permettent aussi d'annoncer des partenariats internationaux majeurs, les lauréats des prix du milieu muséal chinois, le lancement des partenariats en matière de nouvelles technologies entre musées et entreprises et la publication des œuvres cinématographiques et télévisées liées au monde muséal et patrimonial. Ainsi, la convention créant l'International Alliance of Museums of the Silk Road a été signée en 2017 lors de la cérémonie d'ouverture des événements de Ville d'hôte au sein du Musée de la Capitale, Beijing. Ce cadre de Ville d'hôte facilite aussi les innovations. En témoigne la première édition de la Foire de l'Education muséale du Delta du fleuve Yangtsé qui a eu lieu en 2018 à Shanghai et qui est la première exposition en son genre en Chine.

Affiche en chinois de la Journée internationale des musées 2019 © Chinese Museums Association

Changsha (Province du Hunan) a été sélectionnée en tant que Ville d'hôte chinoise pour la Journée internationale des musées 2019. Les événements offerts par la capitale provinciale correspondent au thème annuel déterminé par l'ICOM, à savoir «Les musées, plateformes culturelles : l'avenir de la tradition». La ville de Changsha reconnaît que les musées, en tant que plateformes culturelles, doivent se consacrer à la facilitation des communications et dialogues entre de différentes civilisations, à la conservation de la diversité culturelle et à la connexion, tolérance et inspiration réciproques entre différentes cultures. Se positionnant dans le développement économique et social global, les musées chinois de la nouvelle ère doivent jouer ce rôle de « plateforme » dans la transmission culturelle afin de promouvoir des transformations créatives et des développements innovants de la culture traditionnelle chinoise. En sensibilisant et éduquant les publics à travers la culture, ceux-ci doivent également promouvoir le progrès social et réaliser un développement durable pour l'avenir. Le monde muséal chinois apprécie le thème de l'année 2019 qui considère les musées comme des acteurs dans les communautés et la société et qui les encourage à renforcer les identités culturelles, sentiments d'appartenance, bien-être et sentiments d'enrichissement du public grâce à des offres culturelles de haute qualité.

Malgré l'histoire relativement courte des musées chinois, l'Etat y attache déjà une grande importance. Notamment, depuis le 18e Congrès national du Parti communiste chinois, l'efficacité des services publics muséaux s'améliore grâce à l'avancement de la politique d'accès gratuit, d'où une visibilité sociale augmentée. Les effets des actions, comme les événements de la Journée internationale des musées, se font sentir : au bout de quatre décennies de réforme et d'ouverture, le nombre des musées chinois a augmenté de 349 en 1978 à plus de cinq mille aujourd'hui, tandis qu'ils attirent presqu'un milliard de visiteurs par an avec, entre autres, plus de 20 000 expositions et 200 000 activités d'éducation. De plus en plus importants dans le développement économique et social du pays, les musées contribuent désormais au bien-être global des Chinois. Fête de la communauté internationale des musées, la Journée internationale des musées continuera sans aucun doute à améliorer l'appropriation et la compréhension des musées par les Chinois et à forger dans l'avenir une tradition muséale propre au pays.