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"Le mouvement des 'Gilets jaunes' : symptôme d'une grande immaturité démocratique" (INTERVIEW)

 
French.xinhuanet.com | Publié le 2019-01-21 à 23:41

PARIS, 21 janvier (Xinhua) -- Dans un récent entretien avec Xinhua, la politologue Virginie Martin, professeure à la Kedge Business School, explique que les gilets jaunes, "mouvement social à portée de clic", sont le "symptôme d'une grande immaturité démocratique". A l'ère de la République 3.0, ils apparaissent, "tout comme le mouvement politique du Président Macron", comme "un produit de la désintermédiation", estime-t-elle.

"Le déficit démocratique est structurel en France", relève la politologue. "Il aura fallu des semaines de mobilisation pour ouvrir le dialogue", rappelle-t-elle. "Cela traduit la grande immaturité démocratique qui existe en France où, avec des présidents souvent mal élus, le socle de légitimité démocratique et par conséquent la légitimité politique, sont très faibles", estime la professeure à la Kedge Business School.

"Ce n'est qu'une fois acculé que le Président Macron a lancé le grand débat national alors qu'il aurait pu réagir tout de suite", estime-t-elle.

"Loin de la manifestation de jadis, très organisée et orchestrée, nous sommes aujourd'hui face à un mouvement social pluriel, hétérogène, protéiforme qui rejette clairement les intermédiaires", souligne-t-elle. "Les gilets jaunes agissent sans centrale mais avec Facebook. Et ils agissent ! Ils apparaissent comme un mouvement social à portée de clic, tout comme le mouvement politique dont Emmanuel Macron a été à l'initiative", considère la Présidente du Think Tank Different.

"Emmanuel Macron, tout comme le mouvement des Gilets jaunes, est un produit de la 'désintermédiation', un sujet central depuis les années 1980, notamment à la faveur de la généralisation d'Internet", poursuit-elle.

"Les marchés financiers d'abord, puis le commerce, les médias et tous les secteurs d'activité ont subi, voulu, anticipé, voire provoqué cette désintermédiation. Internet devenant, du même coup, le sésame permettant une rencontre directe entre demande et offre", explique-t-elle. Avant d'ajouter : "Le consommateur l'a bien compris, suivi très rapidement par le citoyen. La sphère du politique n'a pas échappé à cette négation des intermédiaires".

"Ce mouvement des gilets jaunes, qui crée via Internet des porte-paroles, mais pas de leaders, répond à une forme d'horizontalité, mais cela ne garantit pas pour autant une avancée sereine vers une démocratie plus délibérative et participative", souligne Virginie Martin. "Il n'est pas sûr que cette République 3.0 ait beaucoup gagné en démocratie. Il semble même qu'elle porte en elle les germes d'un certain populisme", ajoute-t-elle.

"Les intermédiaires politiques sont peu ou prou des garanties démocratiques, des sortes de modérateurs face à une éventuelle démocratie directe, voire immédiate. Mais la polarisation de ce que nous voyons aujourd'hui entre un Président aimant jouer des émotions et un individu submergé par les colères nous fait rentrer de plein fouet dans une démocratie plus que jamais immature", juge-t-elle.

Concernant le grand débat national lancé par le Président Macron dans le but de sortir de la crise des gilets jaunes, Virginie Martin relève que la consultation "risque de ne concerner que des gens déjà impliqués et passer à côté des gens radicalisés". "Emmanuel Macron a relancé un dialogue avec les maires, des acteurs avec lesquels il n'avait pas voulu jouer. Le pouvoir va essayer de récupérer les moins radicalisés, mais quid des autres ?", interroge-t-elle.

Questionnée sur les conséquences du mouvement des gilets jaunes sur les élections européennes de mai prochain, la politologue relève que "dans une époque de communication éclair, trois semaines avant une élection, tout peut basculer".

"La République 3.0 se passe des intermédiaires comme elle se passe du temps long et ne parvient pas à répondre à la demande d'horizontalité qui fait très peur aux élites. Soit la grande consultation nationale permet une forme de résilience politique via des rencontres citoyennes, soit la situation risque encore de s'aggraver", conclut-elle.

 
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"Le mouvement des 'Gilets jaunes' : symptôme d'une grande immaturité démocratique" (INTERVIEW)

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PARIS, 21 janvier (Xinhua) -- Dans un récent entretien avec Xinhua, la politologue Virginie Martin, professeure à la Kedge Business School, explique que les gilets jaunes, "mouvement social à portée de clic", sont le "symptôme d'une grande immaturité démocratique". A l'ère de la République 3.0, ils apparaissent, "tout comme le mouvement politique du Président Macron", comme "un produit de la désintermédiation", estime-t-elle.

"Le déficit démocratique est structurel en France", relève la politologue. "Il aura fallu des semaines de mobilisation pour ouvrir le dialogue", rappelle-t-elle. "Cela traduit la grande immaturité démocratique qui existe en France où, avec des présidents souvent mal élus, le socle de légitimité démocratique et par conséquent la légitimité politique, sont très faibles", estime la professeure à la Kedge Business School.

"Ce n'est qu'une fois acculé que le Président Macron a lancé le grand débat national alors qu'il aurait pu réagir tout de suite", estime-t-elle.

"Loin de la manifestation de jadis, très organisée et orchestrée, nous sommes aujourd'hui face à un mouvement social pluriel, hétérogène, protéiforme qui rejette clairement les intermédiaires", souligne-t-elle. "Les gilets jaunes agissent sans centrale mais avec Facebook. Et ils agissent ! Ils apparaissent comme un mouvement social à portée de clic, tout comme le mouvement politique dont Emmanuel Macron a été à l'initiative", considère la Présidente du Think Tank Different.

"Emmanuel Macron, tout comme le mouvement des Gilets jaunes, est un produit de la 'désintermédiation', un sujet central depuis les années 1980, notamment à la faveur de la généralisation d'Internet", poursuit-elle.

"Les marchés financiers d'abord, puis le commerce, les médias et tous les secteurs d'activité ont subi, voulu, anticipé, voire provoqué cette désintermédiation. Internet devenant, du même coup, le sésame permettant une rencontre directe entre demande et offre", explique-t-elle. Avant d'ajouter : "Le consommateur l'a bien compris, suivi très rapidement par le citoyen. La sphère du politique n'a pas échappé à cette négation des intermédiaires".

"Ce mouvement des gilets jaunes, qui crée via Internet des porte-paroles, mais pas de leaders, répond à une forme d'horizontalité, mais cela ne garantit pas pour autant une avancée sereine vers une démocratie plus délibérative et participative", souligne Virginie Martin. "Il n'est pas sûr que cette République 3.0 ait beaucoup gagné en démocratie. Il semble même qu'elle porte en elle les germes d'un certain populisme", ajoute-t-elle.

"Les intermédiaires politiques sont peu ou prou des garanties démocratiques, des sortes de modérateurs face à une éventuelle démocratie directe, voire immédiate. Mais la polarisation de ce que nous voyons aujourd'hui entre un Président aimant jouer des émotions et un individu submergé par les colères nous fait rentrer de plein fouet dans une démocratie plus que jamais immature", juge-t-elle.

Concernant le grand débat national lancé par le Président Macron dans le but de sortir de la crise des gilets jaunes, Virginie Martin relève que la consultation "risque de ne concerner que des gens déjà impliqués et passer à côté des gens radicalisés". "Emmanuel Macron a relancé un dialogue avec les maires, des acteurs avec lesquels il n'avait pas voulu jouer. Le pouvoir va essayer de récupérer les moins radicalisés, mais quid des autres ?", interroge-t-elle.

Questionnée sur les conséquences du mouvement des gilets jaunes sur les élections européennes de mai prochain, la politologue relève que "dans une époque de communication éclair, trois semaines avant une élection, tout peut basculer".

"La République 3.0 se passe des intermédiaires comme elle se passe du temps long et ne parvient pas à répondre à la demande d'horizontalité qui fait très peur aux élites. Soit la grande consultation nationale permet une forme de résilience politique via des rencontres citoyennes, soit la situation risque encore de s'aggraver", conclut-elle.

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