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"Le mouvement des 'gilets jaunes' reflète la crise aiguë que traverse la démocratie française" (ENTRETIEN)

 
French.xinhuanet.com | Publié le 2019-01-16 à 11:41

PARIS, 15 janvier (Xinhua) -- Dans un récent entretien avec Xinhua, le politologue français du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) Luc Rouban explique que le mouvement des "gilets jaunes" qui perturbe la France depuis près de deux mois n'est pas seulement social mais d'une nature politique. "Il reflète la crise aiguë que traverse la démocratie française", souligne ce directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

"Le mouvement des 'gilets jaunes' est d'abord un mouvement qui s'inscrit dans la durée. Mais surtout, ce n'est pas une crise sociale habituelle aux dimensions corporatistes catégorielles avec des revendications ciblées", relève le politologue. "Aux enjeux de justice sociale et de justice fiscale s'ajoutent de nombreux enjeux politiques complexes", poursuit-t-il.

"La révolte des 'gilets jaunes' a fait l'objet de nombreux commentaires mettant en évidence la fracture territoriale qui opposerait les centres urbains aux espaces ruraux désertés par les services publics. Mais les 'gilets jaunes' expriment également dans leurs revendications une demande de démocratie horizontale et une défiance profonde à l'égard des institutions républicaines comme de la démocratie représentative", souligne M. Rouban.

Selon lui, le malaise démocratique a franchi une étape supplémentaire. "Le mouvement des 'gilets jaunes' reflète la crise aiguë que traverse la démocratie française", estime-t-il. "Il exprime des critiques de fond à l'égard de la démocratie participative, de son opacité, de son inefficacité, de son manque de mobilité... dans un contexte où le populisme a progressé considérablement dans l'espace politique français", ajoute-t-il.

Les résultats du baromètre annuel de la confiance du Cevipof publié vendredi dernier en témoignent, argumente M. Rouban.

D'après ce baromètre, seuls 9% des sondés déclarent avoir confiance dans la classe politique. La méfiance (37%) et le dégoût (32%) sont les deux premiers sentiments que leur inspireraient leurs élus. Seuls 2% d'entre eux expriment du respect à l'égard des politiques.

D'autre part, quelque 70% des sondés considèrent que la démocratie ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout, alors qu'ils étaient moins de la moitié (48%) à le penser en décembre 2009 lors du lancement de cette étude du Cevipof.

"Le mouvement met en cause directement non seulement le régime en tant que tel de la Ve République, mais aussi la personne même du président, qui est un peu considéré comme le responsable de tous les problèmes du pays", souligne le politologue. "Depuis les revendications initiales sur le pouvoir d'achat, on note une évolution d'un type quelque peu révolutionnaire qui rappelle de grands moments de l'histoire de la France", ajoute-t-il.

"Comme en 1789, la révolte contre les élites a un très fort ancrage local. D'autre part, comme lors des émeutes ouvrières de juin 1848, s'exprime une forme de lutte des classes", considère M. Rouban.

"Le soutien aux 'gilets jaunes' est d'ailleurs très fracturé : très fort au sein des classes populaires et d'une majeure partie des classes moyennes alors qu'il suscite l'hostilité des élites", relève-t-il.

Interrogé sur le "grand débat national" lancé par le président Emmanuel Macron pour répondre à la crise des 'gilets jaunes', M. Rouban se déclare sceptique. "D'une part, cette consultation est très encadrée par le gouvernement. On sait d'ores et déjà très bien qu'un certain nombre de points abordés n'entraîneront aucun changement dans la politique du gouvernement, qui ne va pas céder sur réformes libérales. Le gouvernement ne veut pas refondre complètement le système fiscal", juge-t-il.

"Le grand débat national va sans doute réactualiser en partie des engagements pris par Emmanuel Macron en 2017, comme la réduction du nombre de parlementaires, et introduire un peu de démocratie directe. Mais le recours au référendum dont on parle beaucoup ne sera pas celui dont rêvent les 'gilets jaunes' car il impliquerait une réforme très profonde de la Constitution et risquerait de déstabiliser les institutions", pronostique le politologue.

"Les prochaines semaines s'annoncent très confuses. Je pense que le mouvement va continuer de manière moins violente avec le lancement de la consultation, et parce que les 'gilets jaunes' ont commencé à s'organiser face aux casseurs", ajoute-t-il.

"Le gouvernement a beaucoup investi dans ce grand débat. Or, avant même d'avoir commencé, il a rencontré des échos négatifs dans les rangs des élus locaux qui ne veulent pas être pris entre l'enclume et le marteau, comme chez une partie des 'gilets jaunes' qui le récusent. S'il débouche sur un retour à des mesures déjà prévues, il sera considéré comme un débat pseudo-démocratique", conclut M. Rouban.

 
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"Le mouvement des 'gilets jaunes' reflète la crise aiguë que traverse la démocratie française" (ENTRETIEN)

French.xinhuanet.com | Publié le 2019-01-16 à 11:41

PARIS, 15 janvier (Xinhua) -- Dans un récent entretien avec Xinhua, le politologue français du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) Luc Rouban explique que le mouvement des "gilets jaunes" qui perturbe la France depuis près de deux mois n'est pas seulement social mais d'une nature politique. "Il reflète la crise aiguë que traverse la démocratie française", souligne ce directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

"Le mouvement des 'gilets jaunes' est d'abord un mouvement qui s'inscrit dans la durée. Mais surtout, ce n'est pas une crise sociale habituelle aux dimensions corporatistes catégorielles avec des revendications ciblées", relève le politologue. "Aux enjeux de justice sociale et de justice fiscale s'ajoutent de nombreux enjeux politiques complexes", poursuit-t-il.

"La révolte des 'gilets jaunes' a fait l'objet de nombreux commentaires mettant en évidence la fracture territoriale qui opposerait les centres urbains aux espaces ruraux désertés par les services publics. Mais les 'gilets jaunes' expriment également dans leurs revendications une demande de démocratie horizontale et une défiance profonde à l'égard des institutions républicaines comme de la démocratie représentative", souligne M. Rouban.

Selon lui, le malaise démocratique a franchi une étape supplémentaire. "Le mouvement des 'gilets jaunes' reflète la crise aiguë que traverse la démocratie française", estime-t-il. "Il exprime des critiques de fond à l'égard de la démocratie participative, de son opacité, de son inefficacité, de son manque de mobilité... dans un contexte où le populisme a progressé considérablement dans l'espace politique français", ajoute-t-il.

Les résultats du baromètre annuel de la confiance du Cevipof publié vendredi dernier en témoignent, argumente M. Rouban.

D'après ce baromètre, seuls 9% des sondés déclarent avoir confiance dans la classe politique. La méfiance (37%) et le dégoût (32%) sont les deux premiers sentiments que leur inspireraient leurs élus. Seuls 2% d'entre eux expriment du respect à l'égard des politiques.

D'autre part, quelque 70% des sondés considèrent que la démocratie ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout, alors qu'ils étaient moins de la moitié (48%) à le penser en décembre 2009 lors du lancement de cette étude du Cevipof.

"Le mouvement met en cause directement non seulement le régime en tant que tel de la Ve République, mais aussi la personne même du président, qui est un peu considéré comme le responsable de tous les problèmes du pays", souligne le politologue. "Depuis les revendications initiales sur le pouvoir d'achat, on note une évolution d'un type quelque peu révolutionnaire qui rappelle de grands moments de l'histoire de la France", ajoute-t-il.

"Comme en 1789, la révolte contre les élites a un très fort ancrage local. D'autre part, comme lors des émeutes ouvrières de juin 1848, s'exprime une forme de lutte des classes", considère M. Rouban.

"Le soutien aux 'gilets jaunes' est d'ailleurs très fracturé : très fort au sein des classes populaires et d'une majeure partie des classes moyennes alors qu'il suscite l'hostilité des élites", relève-t-il.

Interrogé sur le "grand débat national" lancé par le président Emmanuel Macron pour répondre à la crise des 'gilets jaunes', M. Rouban se déclare sceptique. "D'une part, cette consultation est très encadrée par le gouvernement. On sait d'ores et déjà très bien qu'un certain nombre de points abordés n'entraîneront aucun changement dans la politique du gouvernement, qui ne va pas céder sur réformes libérales. Le gouvernement ne veut pas refondre complètement le système fiscal", juge-t-il.

"Le grand débat national va sans doute réactualiser en partie des engagements pris par Emmanuel Macron en 2017, comme la réduction du nombre de parlementaires, et introduire un peu de démocratie directe. Mais le recours au référendum dont on parle beaucoup ne sera pas celui dont rêvent les 'gilets jaunes' car il impliquerait une réforme très profonde de la Constitution et risquerait de déstabiliser les institutions", pronostique le politologue.

"Les prochaines semaines s'annoncent très confuses. Je pense que le mouvement va continuer de manière moins violente avec le lancement de la consultation, et parce que les 'gilets jaunes' ont commencé à s'organiser face aux casseurs", ajoute-t-il.

"Le gouvernement a beaucoup investi dans ce grand débat. Or, avant même d'avoir commencé, il a rencontré des échos négatifs dans les rangs des élus locaux qui ne veulent pas être pris entre l'enclume et le marteau, comme chez une partie des 'gilets jaunes' qui le récusent. S'il débouche sur un retour à des mesures déjà prévues, il sera considéré comme un débat pseudo-démocratique", conclut M. Rouban.

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