Macron recourt à une communication politique millimétrée et polymorphe, selon une politologue francaise (INTERVIEW)

Publié le 2018-04-14 à 21:00 | french.xinhuanet.com

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PARIS, 14 avril (Xinhua) -- Alors que le président français Emmnauel Macron, confronté à la fronde sociale et à l'érosion de sa popularité, monte au créneau cette semaine avec deux interviews télévisées, la docteure en sciences politiques Virginie Martin, spécialiste du soft power et des médias, analyse pour Xinhua la stratégie de "communication politique millimétrée et polymorphe" du chef de l'Etat français.

Près d'un an après son élection à la tête de la République française, Emmanuel Macron, qui avait jusqu'ici revendiqué une "parole présidentielle rare", s'est lancé, jeudi, dans la bataille de l'opinion.

Confronté à la grève perlée de la SNCF, à la fronde sociale et à la multiplication des foyers de mécontentements dans l'Hexagone, il s'est exprimé jeudi au journal télévisé de 13 heures de TF1, devant six millions de Français. Interviewé pour l'occasion dans un petit village normand, afin de rompre avec son image de "président des villes", il s'est efforcé de rassurer les retraités et les ruraux, cœur de l'audience de cette tranche horaire.

"Le président Macron recourt à une communication politique millimétrée et polymorphe", estime dans une interview accordée à Xinhua Virginie Martin, enseignante à la Kedge Business School : "Il segmente comme on segmenterait des clientèles, prend des tranches de population, s'adapte à la situation, à l'audience. Sur TF1, il fait dans le populaire, le rural, dans un style simple et direct, en raisonnant par l'exemple personnel".

"Si demain, il était interrogé sur la chaîne culturelle Arte, il parlerait un peu en allemand et citerait Condorcet. Sur Canal +, il évoquerait l'intelligence artificielle, les jeux vidéos et les start-ups", développe-t-elle.

Dimanche, dans le cadre d'une interview télévisée de deux heures destinée à un tout autre public, qui sera diffusée sur BFM-TV, RMC et le site Mediapart, Emmanuel Macron fera face à Jean-Jacques Bourdin, visage emblématique de la première chaîne d'info en continu et Edwy Plenel, fondateur du site d'investigation Mediapart, figure incontournable et controversée du journalisme engagé.

"La première année au pouvoir d'Emmanuel Macron confirme ce que je pensais l'an dernier", souligne la docteure en sciences politiques. Pendant la campagne présidentielle, la politologue estimait déjà, dans un entretien accordé à Xinhua, que "le logiciel libéral d'Emmanuel Macron protégeait ceux qui allaient déjà bien, les insiders", tout en s'interrogeant sur les limites de "l'en même temps" qu'il défend et sur sa capacité à fédérer le pays.

Dans le contexte de contestation sociale qui s'étend dans l'Hexagone, Virginie Martin relève que "les dossiers les plus délicats pour lui sont ceux qui sont clivants en termes sociétaux". Elle cite la question de "l'identité, de l'islam, du terrorisme", "des questions sur lesquelles il s'est encore peu avancé". Même si, jeudi, il a promis des annonces d'ici l'été.

"Les dossiers éthiques risquent aussi d'être problématiques. Tout comme la construction d'un vivre-ensemble ", estime Virginie Martin.

"On n'observe pas de véritable clivage économique dans une époque où le mainstream néolibéral s'est diffusé au point que l'austérité est présentée comme le raisonnable et que le débat sur ces questions est relégué. C'est une forme de discours qui ne souffre pas la contradiction", considère la présidente du Think Tank Different.

Interrogée sur l'ampleur de la mobilisation sociale à l'heure où l'exécutif commence à s'inquiéter d'une éventuelle convergence des luttes, la politologue la juge "en demi-teinte, dans le sens où elle ne prend pas spontanément dans la population". "Elle prend très bien avec des courroies de transmission, qu'elles soient syndicales, politiques, associatives. Mais pour le reste (...)", tempère-t-elle.

"Dans des sociétés qui sont devenues hyper individualistes, un président peut faire à peu près ce qu'il veut. Même si beaucoup de Français sont très désabusés", estime la politologue. "Le contexte n'a rien à voir avec les grosses mobilisations de 1995. Le pouvoir a malgré tout de beaux jours devant lui", poursuit-elle.

"Les contre-pouvoirs ne sont plus réellement opérants : les médias sont régis par des critères économiques très violents... Nous sommes face à une vision très entrepreneuriale de la politique et de la chose publique", ajoute-t-elle.

"Sur la SNCF, Emmanuel Macron ne fera pas machine arrière. Il ira jusqu'au bout, coûte que coûte. Quand il faut slalomer, il le fait mais il garde en vue son horizon. Cela confirme à mon sens qu'il est un homme de droite. Lors de l'interview, jeudi, il a d'ailleurs critiqué vivement les équipes au pouvoir des 35 dernières années, ce qui implique tous les gouvernements de gauche", estime-t-elle.

Interrogé sur les atouts d'Emmanuel Macron, Virginie Martin considère que "ses points forts sont aussi ses points faibles". "Il est éminemment stratégique, pour le meilleur et pour le pire. Il place le politique derrière ce qu'il appelle le pragmatisme".

"A l'international, il dispose certes d'un capital sympathie en profitant du vide existant. Mais son principal point faible, selon moi, c'est sa grande modernité politique c'est-à-dire l'absence du Politique au sens de l'intérêt général, du bien commun, de la citoyenneté", poursuit-elle. Avant d'affirmer : "Nous sommes à la fin du Politique, dans un climat de dérive autoritaire des démocraties occidentales".

"D'un point de vue stratégique, Emmanuel Macron n'a sans doute pas tort. Peut-on encore gouverner les jeunes générations comme on gouvernait nos parents? Dans une société changeante, marquée par la politique du tweet, à l'ère d'une consommation superficielle de l'information sur les réseaux sociaux, qui est encore capable de faire l'effort de réfléchir sur des dossiers complexes? L'époque pose une vraie interrogation : comment parler à tout ce que nous sommes devenus?", développe la spécialiste du soft power et des médias.

Et de plaisanter : "De Gaulle dirigeait des veaux, selon sa célèbre formule. On pourrait dire qu'Emmanuel Macron dirige des petits geeks en puissance".

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Macron recourt à une communication politique millimétrée et polymorphe, selon une politologue francaise (INTERVIEW)

Publié le 2018-04-14 à 21:00 | french.xinhuanet.com

PARIS, 14 avril (Xinhua) -- Alors que le président français Emmnauel Macron, confronté à la fronde sociale et à l'érosion de sa popularité, monte au créneau cette semaine avec deux interviews télévisées, la docteure en sciences politiques Virginie Martin, spécialiste du soft power et des médias, analyse pour Xinhua la stratégie de "communication politique millimétrée et polymorphe" du chef de l'Etat français.

Près d'un an après son élection à la tête de la République française, Emmanuel Macron, qui avait jusqu'ici revendiqué une "parole présidentielle rare", s'est lancé, jeudi, dans la bataille de l'opinion.

Confronté à la grève perlée de la SNCF, à la fronde sociale et à la multiplication des foyers de mécontentements dans l'Hexagone, il s'est exprimé jeudi au journal télévisé de 13 heures de TF1, devant six millions de Français. Interviewé pour l'occasion dans un petit village normand, afin de rompre avec son image de "président des villes", il s'est efforcé de rassurer les retraités et les ruraux, cœur de l'audience de cette tranche horaire.

"Le président Macron recourt à une communication politique millimétrée et polymorphe", estime dans une interview accordée à Xinhua Virginie Martin, enseignante à la Kedge Business School : "Il segmente comme on segmenterait des clientèles, prend des tranches de population, s'adapte à la situation, à l'audience. Sur TF1, il fait dans le populaire, le rural, dans un style simple et direct, en raisonnant par l'exemple personnel".

"Si demain, il était interrogé sur la chaîne culturelle Arte, il parlerait un peu en allemand et citerait Condorcet. Sur Canal +, il évoquerait l'intelligence artificielle, les jeux vidéos et les start-ups", développe-t-elle.

Dimanche, dans le cadre d'une interview télévisée de deux heures destinée à un tout autre public, qui sera diffusée sur BFM-TV, RMC et le site Mediapart, Emmanuel Macron fera face à Jean-Jacques Bourdin, visage emblématique de la première chaîne d'info en continu et Edwy Plenel, fondateur du site d'investigation Mediapart, figure incontournable et controversée du journalisme engagé.

"La première année au pouvoir d'Emmanuel Macron confirme ce que je pensais l'an dernier", souligne la docteure en sciences politiques. Pendant la campagne présidentielle, la politologue estimait déjà, dans un entretien accordé à Xinhua, que "le logiciel libéral d'Emmanuel Macron protégeait ceux qui allaient déjà bien, les insiders", tout en s'interrogeant sur les limites de "l'en même temps" qu'il défend et sur sa capacité à fédérer le pays.

Dans le contexte de contestation sociale qui s'étend dans l'Hexagone, Virginie Martin relève que "les dossiers les plus délicats pour lui sont ceux qui sont clivants en termes sociétaux". Elle cite la question de "l'identité, de l'islam, du terrorisme", "des questions sur lesquelles il s'est encore peu avancé". Même si, jeudi, il a promis des annonces d'ici l'été.

"Les dossiers éthiques risquent aussi d'être problématiques. Tout comme la construction d'un vivre-ensemble ", estime Virginie Martin.

"On n'observe pas de véritable clivage économique dans une époque où le mainstream néolibéral s'est diffusé au point que l'austérité est présentée comme le raisonnable et que le débat sur ces questions est relégué. C'est une forme de discours qui ne souffre pas la contradiction", considère la présidente du Think Tank Different.

Interrogée sur l'ampleur de la mobilisation sociale à l'heure où l'exécutif commence à s'inquiéter d'une éventuelle convergence des luttes, la politologue la juge "en demi-teinte, dans le sens où elle ne prend pas spontanément dans la population". "Elle prend très bien avec des courroies de transmission, qu'elles soient syndicales, politiques, associatives. Mais pour le reste (...)", tempère-t-elle.

"Dans des sociétés qui sont devenues hyper individualistes, un président peut faire à peu près ce qu'il veut. Même si beaucoup de Français sont très désabusés", estime la politologue. "Le contexte n'a rien à voir avec les grosses mobilisations de 1995. Le pouvoir a malgré tout de beaux jours devant lui", poursuit-elle.

"Les contre-pouvoirs ne sont plus réellement opérants : les médias sont régis par des critères économiques très violents... Nous sommes face à une vision très entrepreneuriale de la politique et de la chose publique", ajoute-t-elle.

"Sur la SNCF, Emmanuel Macron ne fera pas machine arrière. Il ira jusqu'au bout, coûte que coûte. Quand il faut slalomer, il le fait mais il garde en vue son horizon. Cela confirme à mon sens qu'il est un homme de droite. Lors de l'interview, jeudi, il a d'ailleurs critiqué vivement les équipes au pouvoir des 35 dernières années, ce qui implique tous les gouvernements de gauche", estime-t-elle.

Interrogé sur les atouts d'Emmanuel Macron, Virginie Martin considère que "ses points forts sont aussi ses points faibles". "Il est éminemment stratégique, pour le meilleur et pour le pire. Il place le politique derrière ce qu'il appelle le pragmatisme".

"A l'international, il dispose certes d'un capital sympathie en profitant du vide existant. Mais son principal point faible, selon moi, c'est sa grande modernité politique c'est-à-dire l'absence du Politique au sens de l'intérêt général, du bien commun, de la citoyenneté", poursuit-elle. Avant d'affirmer : "Nous sommes à la fin du Politique, dans un climat de dérive autoritaire des démocraties occidentales".

"D'un point de vue stratégique, Emmanuel Macron n'a sans doute pas tort. Peut-on encore gouverner les jeunes générations comme on gouvernait nos parents? Dans une société changeante, marquée par la politique du tweet, à l'ère d'une consommation superficielle de l'information sur les réseaux sociaux, qui est encore capable de faire l'effort de réfléchir sur des dossiers complexes? L'époque pose une vraie interrogation : comment parler à tout ce que nous sommes devenus?", développe la spécialiste du soft power et des médias.

Et de plaisanter : "De Gaulle dirigeait des veaux, selon sa célèbre formule. On pourrait dire qu'Emmanuel Macron dirige des petits geeks en puissance".

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