"Le Front national est confronté à de multiples contradictions" (INTERVIEW)

Publié le 2018-03-11 à 02:24 | french.xinhuanet.com

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PARIS, 10 mars (Xinhua) -- Dans un récent entretien avec Xinhua, le politologue du Centre de Recherches Politiques de Sciences Po (CEVIPOF) Luc Rouban décrypte les contradictions dans lesquelles se trouve le Front national (FN) à la veille de son 16ème congrès, ce week-end à Lille (nord de France), au cours duquel sa présidente Marine Le Pen, fragilisée, va proposer un nouveau nom pour la formation d'extrême droite.

"Le FN se trouve actuellement dans une situation assez confuse", estime Luc Rouban. Pour lui, "dans le cadre de la stratégie de dédiabolisation engagée par Marine Le Pen avec Florian Philippot (ancien numéro deux du FN), le FN offrait un compromis entre des revendications identitaires et nationales et la défense des catégories les plus pauvres à travers une vision sociale".

"Avec le départ de Florian Philippot, le FN a plutôt tendance à basculer vers l'axe identitaire, mais sur ce point, il est en concurrence avec les Républicains de Laurent Wauquiez qui, sur le terrain culturel, entend défendre une vision identitaire forte tout en étant sur le plan économique libéral", développe-t-il.

"Traditionnellement, on distingue deux grandes catégories d'électeurs FN: ceux du Sud de la France, des petits commerçants et des professions libérales, attachés au libéralisme; ceux du Nord et de l'Est du pays souvent issus du monde ouvrier, des catégories populaires et beaucoup plus attachés aux services publics", rappelle le politologue.

"La vraie question aujourd'hui, selon moi, c'est de savoir quelle est la doctrine économique du FN", déclare-t-il. "Marine Le Pen, aux commandes du parti depuis 2011, n'a pas réussi à imposer une ligne claire dans ce domaine", ajoute-t-il.

La crise de leadership que traverse le FN s'inscrit dans la foulée de son "revers électoral cuisant" à l'élection présidentielle de 2017, relève le chercheur du CEVIPOF. Si Marine Le Pen a certes réalisé un record de voix (plus de 10 millions), "elle pouvait espérer réaliser un bien meilleur score avant le débat de l'entre-deux tours", explique Luc Rouban.

"Sa contre-performance et son manque d'expertise face à Emmanuel Macron lors du débat télévisé a fait fuir une partie de ses électeurs vers l'abstention", poursuit-il. "On observe en France dans le même temps une critique des partis traditionnels mais aussi des attentes en matière de compétence, y compris dans les rangs des électeurs du FN", précise-t-il.

Marine Le Pen déclare vouloir "transformer définitivement aux yeux des Français ce parti d'opposition en parti de gouvernement" et appelle ce week-end à Lille à un congrès de "refondation" au cours duquel elle va proposer un nouveau nom à la formation d'extrême droite, jugeant l'appellation Front national trop dissuasive pour les électeurs et de potentiels alliés.

"Ce changement de nom reflète sans doute son envie d'imiter le modèle italien de la transformation de la Ligue du Nord. Elle est à la recherche d'un élargissement de son électorat", commente le politologue.

"A travers le nouveau conseil national elle entend vraisemblablement redonner de nouvelles structures au parti cofondé en 1972 par son père et donner plus de marge de manœuvre au niveau local afin de répondre aux attentes des couches populaires qui sont en forte demande de pouvoir horizontal, de démocratie directe. Mais le parti est pris dans une contradiction forte: le FN fonctionne sur un modèle familial très centralisé où le pouvoir est détenu par le sommet", relève Luc Rouban.

Selon le politologue, le FN va "devoir sortir de cette logique familiale s'il veut se maintenir, clarifier sa position sur l'Europe pour rassurer notamment son électorat le plus âgé qui a du patrimoine et reste attaché à l'euro, et trouver un nouveau centre de gravité sociologique".

"On pourrait dire que le parti entre dans une troisième époque: après celle du père Jean-Marie Le Pen, très lié à l'Algérie française et à des positionnements parfois proches de ceux du régime de Vichy, puis celle de Marine Le Pen et Florian Philippot axée sur la dédiabolisation, pourrait s'ouvrir celle d'un populisme-nationalisme élargi qui appellerait un changement de leader, l'émergence de nouvelles personnalités et un nouveau style de communication", estime-t-il.

Seule candidate à sa propre réélection à la présidence du parti, Marine Le Pen a déclaré jeudi au journal Le Monde: "Je n'ai pas terminé mon travail". Un nouveau congrès sera organisé un an avant la prochaine présidentielle. Pour Luc Rouban, c'est sans doute son dernier mandat à la tête du parti.

Reste que ses électeurs n'ont pas disparu depuis le second tour de la présidentielle. "Le FN n'est pas mort, il a traversé de multiples crises, la scission des Mégrétistes, le conflit entre Marine et son père, les bisbilles avec Marion-Maréchal (nièce de Marine Le Pen)...", rappelle le politologue. "Le potentiel contestataire du parti est toujours là, mais sur ce terrain, le FN a de la concurrence, aussi bien avec Laurent Wauquiez qu'avec la France insoumise, même si c'est sur d'autres fondations", conclut-il.

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"Le Front national est confronté à de multiples contradictions" (INTERVIEW)

Publié le 2018-03-11 à 02:24 | french.xinhuanet.com

PARIS, 10 mars (Xinhua) -- Dans un récent entretien avec Xinhua, le politologue du Centre de Recherches Politiques de Sciences Po (CEVIPOF) Luc Rouban décrypte les contradictions dans lesquelles se trouve le Front national (FN) à la veille de son 16ème congrès, ce week-end à Lille (nord de France), au cours duquel sa présidente Marine Le Pen, fragilisée, va proposer un nouveau nom pour la formation d'extrême droite.

"Le FN se trouve actuellement dans une situation assez confuse", estime Luc Rouban. Pour lui, "dans le cadre de la stratégie de dédiabolisation engagée par Marine Le Pen avec Florian Philippot (ancien numéro deux du FN), le FN offrait un compromis entre des revendications identitaires et nationales et la défense des catégories les plus pauvres à travers une vision sociale".

"Avec le départ de Florian Philippot, le FN a plutôt tendance à basculer vers l'axe identitaire, mais sur ce point, il est en concurrence avec les Républicains de Laurent Wauquiez qui, sur le terrain culturel, entend défendre une vision identitaire forte tout en étant sur le plan économique libéral", développe-t-il.

"Traditionnellement, on distingue deux grandes catégories d'électeurs FN: ceux du Sud de la France, des petits commerçants et des professions libérales, attachés au libéralisme; ceux du Nord et de l'Est du pays souvent issus du monde ouvrier, des catégories populaires et beaucoup plus attachés aux services publics", rappelle le politologue.

"La vraie question aujourd'hui, selon moi, c'est de savoir quelle est la doctrine économique du FN", déclare-t-il. "Marine Le Pen, aux commandes du parti depuis 2011, n'a pas réussi à imposer une ligne claire dans ce domaine", ajoute-t-il.

La crise de leadership que traverse le FN s'inscrit dans la foulée de son "revers électoral cuisant" à l'élection présidentielle de 2017, relève le chercheur du CEVIPOF. Si Marine Le Pen a certes réalisé un record de voix (plus de 10 millions), "elle pouvait espérer réaliser un bien meilleur score avant le débat de l'entre-deux tours", explique Luc Rouban.

"Sa contre-performance et son manque d'expertise face à Emmanuel Macron lors du débat télévisé a fait fuir une partie de ses électeurs vers l'abstention", poursuit-il. "On observe en France dans le même temps une critique des partis traditionnels mais aussi des attentes en matière de compétence, y compris dans les rangs des électeurs du FN", précise-t-il.

Marine Le Pen déclare vouloir "transformer définitivement aux yeux des Français ce parti d'opposition en parti de gouvernement" et appelle ce week-end à Lille à un congrès de "refondation" au cours duquel elle va proposer un nouveau nom à la formation d'extrême droite, jugeant l'appellation Front national trop dissuasive pour les électeurs et de potentiels alliés.

"Ce changement de nom reflète sans doute son envie d'imiter le modèle italien de la transformation de la Ligue du Nord. Elle est à la recherche d'un élargissement de son électorat", commente le politologue.

"A travers le nouveau conseil national elle entend vraisemblablement redonner de nouvelles structures au parti cofondé en 1972 par son père et donner plus de marge de manœuvre au niveau local afin de répondre aux attentes des couches populaires qui sont en forte demande de pouvoir horizontal, de démocratie directe. Mais le parti est pris dans une contradiction forte: le FN fonctionne sur un modèle familial très centralisé où le pouvoir est détenu par le sommet", relève Luc Rouban.

Selon le politologue, le FN va "devoir sortir de cette logique familiale s'il veut se maintenir, clarifier sa position sur l'Europe pour rassurer notamment son électorat le plus âgé qui a du patrimoine et reste attaché à l'euro, et trouver un nouveau centre de gravité sociologique".

"On pourrait dire que le parti entre dans une troisième époque: après celle du père Jean-Marie Le Pen, très lié à l'Algérie française et à des positionnements parfois proches de ceux du régime de Vichy, puis celle de Marine Le Pen et Florian Philippot axée sur la dédiabolisation, pourrait s'ouvrir celle d'un populisme-nationalisme élargi qui appellerait un changement de leader, l'émergence de nouvelles personnalités et un nouveau style de communication", estime-t-il.

Seule candidate à sa propre réélection à la présidence du parti, Marine Le Pen a déclaré jeudi au journal Le Monde: "Je n'ai pas terminé mon travail". Un nouveau congrès sera organisé un an avant la prochaine présidentielle. Pour Luc Rouban, c'est sans doute son dernier mandat à la tête du parti.

Reste que ses électeurs n'ont pas disparu depuis le second tour de la présidentielle. "Le FN n'est pas mort, il a traversé de multiples crises, la scission des Mégrétistes, le conflit entre Marine et son père, les bisbilles avec Marion-Maréchal (nièce de Marine Le Pen)...", rappelle le politologue. "Le potentiel contestataire du parti est toujours là, mais sur ce terrain, le FN a de la concurrence, aussi bien avec Laurent Wauquiez qu'avec la France insoumise, même si c'est sur d'autres fondations", conclut-il.

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