"La France a un problème structurel d'efficacité de la dépense publique", selon un expert (INTERVIEW)

Publié le 2017-08-28 à 22:55 | french.xinhuanet.com

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PARIS, 28 août (Xinhua) -- "Les problèmes structurels auxquels est confrontée l'économie française relèvent moins du niveau de la dépense publique en soi que de son efficacité", considère, dans un entretien accordé à Xinhua, Guillaume Duval, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

"Oui, le montant de la dépense publique en France figure parmi les plus élevés des pays de l'OCDE mais ce n'est pas tant son montant qui pose problème. Les pays scandinaves ont eux aussi une dépense publique très élevée. Dans l'Hexagone, il y a d'abord un problème structurel d'efficacité de la dépense publique qui est notamment lié à l'histoire de l'Etat français, un Etat très centralisé", estime-t-il.

M. Duval a été nommé par décret au sein de la troisième assemblée de la République, un organe mal connu qui compte 233 membres, que le président de la République veut transformer en "Assemblée du futur" afin qu'il devienne "l'instance unique de consultation pour fabriquer des lois".

Il est notamment l'auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie française et européenne : "La France d'après : rebondir après la crise" (2013), "Made in Germany. Le modèle allemand au-delà des mythes" (2013), "Marre de cette Europe-là? Moi aussi... Conversations avec Régis Meyrand" (2015), "La France ne sera plus jamais une grande puissance? Tant Mieux!" (2015). Il dirige par ailleurs le magazine "Alternatives économiques".

"L'appareil d'Etat, construit de façon très pyramidale par les rois de France pour maîtriser leurs sujets, a ensuite été renforcé par les jacobins, puis par Bonaparte et réactualisé par de Gaulle. L'architecture de l'Etat se situe largement au-dessus et en dehors de la société; cela ne facilite pas l'efficacité de l'action publique", juge le membre du CESE.

"Dans l'industrie française aussi, on trouve d'autre part une tradition verticale hiérarchique autoritaire très forte, pas forcément efficace, pour gérer une entreprise. C'est un point faible par rapport aux Allemands ou aux Scandinaves qui ont des structures plus participatives où les salariés se sentent plus impliqués", poursuit cet ingénieur de formation qui a longtemps travaillé dans l'industrie outre-Rhin.

Autre raison structurelle des difficultés de l'Hexagone, selon Guillaume Duval : "Contrairement à l'Allemagne, la France est un territoire qui est très déséquilibré, plus rural et moins densément peuplé que les autres grands pays européens. Cela se corrige en partie avec des dépenses publiques très élevées. Cela peut néanmoins se révéler un atout dans le futur - à condition que l'on ne le gaspille pas - car les terres agricoles seront une ressource rare au XXIe siècle".

Interrogé sur le chômage de masse souvent présenté comme un "mal français", le conseiller du CESE relève que "l'Allemagne a résolu en partie cette question sur la base d'un partage du travail très inégalitaire entre hommes et femmes, à travers le développement du temps partiel féminin, en multipliant les petits boulots mal payés pour les femmes. Un tel partage du travail n'est pas acceptable ni socialement ni politiquement en France".

"Un salarié français travaille chaque semaine en gros une demi-heure de plus qu'un salarié allemand, un homme français travaille une heure de moins qu'un homme allemand, mais une femme allemande trois heures de moins qu'une femme française. L'écart de temps de travail entre les hommes et les femmes, c'est 4 heures en France, 9 heures en Allemagne", précise-t-il.

"Une réduction du temps de travail pourrait être une alternative. Les 35 heures avaient bien marché, mais pour aller plus loin, c'est très compliqué à faire si les autres pays européens ne le font pas. Or ils ont quasiment tous accepté ce partage inégalitaire du travail entre les hommes et les femmes", ajoute-t-il.

Pour le conseiller du CESE, les "vraies réformes de l'action publique sont tout à fait contradictoires avec une réduction des dépenses publiques à court terme et des économies rapides. Une réforme coûte toujours très cher au départ, y compris dans le secteur privé. C'est un investissement. Il faut indemniser les gens qui sont perdants si on ne veut pas mettre le pays à feu et à sang... Il faut former les fonctionnaires, créer de nouvelles structures sans pour autant fermer tout de suite les nouvelles".

Questionné sur les derniers indicateurs qui reflètent une embellie de l'économie française, Guillaume Duval estime qu'"en réalité, ce n'est jamais allé très mal jusqu'ici. On a trop souvent - les Français eux-mêmes - une image trop négative de la situation économique française", dit-il.

"La crise de la zone euro s'est construite sur un double déséquilibre : des pays du Sud qui consommaient beaucoup, qui s'endettaient pour consommer ce qu'ils ne produisaient pas, qui vivaient au-dessus de leurs moyens, et de l'autre côté des Allemands qui se serraient beaucoup trop la ceinture et dont les excédents extérieurs étaient colossaux", rappelle-t-il.

"Pendant toute cette période, en fait, le seul pays qui a été à peu près raisonnable en Europe, c'est la France. Toutes les données macro-économiques en témoignent: on a eu une récession deux fois plus limitée que les Allemands, on n'a jamais plongé comme des pays du Sud... On peut même dire que c'est nous qui avons sauvé la zone euro dans le sens où, si la demande intérieure française n'avait pas tenu, cela aurait été beaucoup plus grave pour tout le monde. On n'est pas si mauvais que cela", affirme-t-il.

"Mais c'est aussi le fait que la demande intérieure ait tenu à ce moment là qui explique que la France a davantage de problèmes aujourd'hui. Les autres pays ont fait baisser leur coût du travail, les marges des entreprises françaises se sont réduites, les déficits extérieurs se sont accrus comme les autres ne consommaient plus rien...", poursuit-il.

Le conseiller du CESE de conclure: le président François Hollande "a engagé la France dans la spirale du moins-disant social en diminuant les dépenses publiques; cela a eu comme effet d'aggraver les difficultés car cela réduit la demande intérieure et casse la reprise. La baisse du pétrole et la politique de la BCE ont jusqu'ici limité les dégâts".

Le CESE peut être saisi par le gouvernement, par les présidents de l'Assemblée nationale ou du Sénat, pour donner son avis sur de futures lois. C'est obligatoire pour les projets à caractère économique, social ou environnemental. Il peut s'auto-saisir sur des sujets qu'il juge importants ou répondre à des pétitions rassemblant 500.000 signatures.

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"La France a un problème structurel d'efficacité de la dépense publique", selon un expert (INTERVIEW)

Publié le 2017-08-28 à 22:55 | french.xinhuanet.com

PARIS, 28 août (Xinhua) -- "Les problèmes structurels auxquels est confrontée l'économie française relèvent moins du niveau de la dépense publique en soi que de son efficacité", considère, dans un entretien accordé à Xinhua, Guillaume Duval, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

"Oui, le montant de la dépense publique en France figure parmi les plus élevés des pays de l'OCDE mais ce n'est pas tant son montant qui pose problème. Les pays scandinaves ont eux aussi une dépense publique très élevée. Dans l'Hexagone, il y a d'abord un problème structurel d'efficacité de la dépense publique qui est notamment lié à l'histoire de l'Etat français, un Etat très centralisé", estime-t-il.

M. Duval a été nommé par décret au sein de la troisième assemblée de la République, un organe mal connu qui compte 233 membres, que le président de la République veut transformer en "Assemblée du futur" afin qu'il devienne "l'instance unique de consultation pour fabriquer des lois".

Il est notamment l'auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie française et européenne : "La France d'après : rebondir après la crise" (2013), "Made in Germany. Le modèle allemand au-delà des mythes" (2013), "Marre de cette Europe-là? Moi aussi... Conversations avec Régis Meyrand" (2015), "La France ne sera plus jamais une grande puissance? Tant Mieux!" (2015). Il dirige par ailleurs le magazine "Alternatives économiques".

"L'appareil d'Etat, construit de façon très pyramidale par les rois de France pour maîtriser leurs sujets, a ensuite été renforcé par les jacobins, puis par Bonaparte et réactualisé par de Gaulle. L'architecture de l'Etat se situe largement au-dessus et en dehors de la société; cela ne facilite pas l'efficacité de l'action publique", juge le membre du CESE.

"Dans l'industrie française aussi, on trouve d'autre part une tradition verticale hiérarchique autoritaire très forte, pas forcément efficace, pour gérer une entreprise. C'est un point faible par rapport aux Allemands ou aux Scandinaves qui ont des structures plus participatives où les salariés se sentent plus impliqués", poursuit cet ingénieur de formation qui a longtemps travaillé dans l'industrie outre-Rhin.

Autre raison structurelle des difficultés de l'Hexagone, selon Guillaume Duval : "Contrairement à l'Allemagne, la France est un territoire qui est très déséquilibré, plus rural et moins densément peuplé que les autres grands pays européens. Cela se corrige en partie avec des dépenses publiques très élevées. Cela peut néanmoins se révéler un atout dans le futur - à condition que l'on ne le gaspille pas - car les terres agricoles seront une ressource rare au XXIe siècle".

Interrogé sur le chômage de masse souvent présenté comme un "mal français", le conseiller du CESE relève que "l'Allemagne a résolu en partie cette question sur la base d'un partage du travail très inégalitaire entre hommes et femmes, à travers le développement du temps partiel féminin, en multipliant les petits boulots mal payés pour les femmes. Un tel partage du travail n'est pas acceptable ni socialement ni politiquement en France".

"Un salarié français travaille chaque semaine en gros une demi-heure de plus qu'un salarié allemand, un homme français travaille une heure de moins qu'un homme allemand, mais une femme allemande trois heures de moins qu'une femme française. L'écart de temps de travail entre les hommes et les femmes, c'est 4 heures en France, 9 heures en Allemagne", précise-t-il.

"Une réduction du temps de travail pourrait être une alternative. Les 35 heures avaient bien marché, mais pour aller plus loin, c'est très compliqué à faire si les autres pays européens ne le font pas. Or ils ont quasiment tous accepté ce partage inégalitaire du travail entre les hommes et les femmes", ajoute-t-il.

Pour le conseiller du CESE, les "vraies réformes de l'action publique sont tout à fait contradictoires avec une réduction des dépenses publiques à court terme et des économies rapides. Une réforme coûte toujours très cher au départ, y compris dans le secteur privé. C'est un investissement. Il faut indemniser les gens qui sont perdants si on ne veut pas mettre le pays à feu et à sang... Il faut former les fonctionnaires, créer de nouvelles structures sans pour autant fermer tout de suite les nouvelles".

Questionné sur les derniers indicateurs qui reflètent une embellie de l'économie française, Guillaume Duval estime qu'"en réalité, ce n'est jamais allé très mal jusqu'ici. On a trop souvent - les Français eux-mêmes - une image trop négative de la situation économique française", dit-il.

"La crise de la zone euro s'est construite sur un double déséquilibre : des pays du Sud qui consommaient beaucoup, qui s'endettaient pour consommer ce qu'ils ne produisaient pas, qui vivaient au-dessus de leurs moyens, et de l'autre côté des Allemands qui se serraient beaucoup trop la ceinture et dont les excédents extérieurs étaient colossaux", rappelle-t-il.

"Pendant toute cette période, en fait, le seul pays qui a été à peu près raisonnable en Europe, c'est la France. Toutes les données macro-économiques en témoignent: on a eu une récession deux fois plus limitée que les Allemands, on n'a jamais plongé comme des pays du Sud... On peut même dire que c'est nous qui avons sauvé la zone euro dans le sens où, si la demande intérieure française n'avait pas tenu, cela aurait été beaucoup plus grave pour tout le monde. On n'est pas si mauvais que cela", affirme-t-il.

"Mais c'est aussi le fait que la demande intérieure ait tenu à ce moment là qui explique que la France a davantage de problèmes aujourd'hui. Les autres pays ont fait baisser leur coût du travail, les marges des entreprises françaises se sont réduites, les déficits extérieurs se sont accrus comme les autres ne consommaient plus rien...", poursuit-il.

Le conseiller du CESE de conclure: le président François Hollande "a engagé la France dans la spirale du moins-disant social en diminuant les dépenses publiques; cela a eu comme effet d'aggraver les difficultés car cela réduit la demande intérieure et casse la reprise. La baisse du pétrole et la politique de la BCE ont jusqu'ici limité les dégâts".

Le CESE peut être saisi par le gouvernement, par les présidents de l'Assemblée nationale ou du Sénat, pour donner son avis sur de futures lois. C'est obligatoire pour les projets à caractère économique, social ou environnemental. Il peut s'auto-saisir sur des sujets qu'il juge importants ou répondre à des pétitions rassemblant 500.000 signatures.

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