Le data-journalisme, un journalisme d'investigation qui s'ignore (INTERVIEW)
Publié le 2017-05-12 à 21:27 | french.xinhuanet.com
PARIS, 12 mai (Xinhua) -- Ces dernières années, le progrès technologique a conduit à l'émergence d'un nouveau mouvement dans le monde du journalisme : le journalisme de données, aussi appelé "data-journalisme". Un secteur de plus en plus prisé qui a fait l'objet d'un séminaire jeudi 11 mai à l'Institut de relations internationales et de journalisme Sciences Po Paris.
"Le data-journalisme est du journalisme d'investigation qui s'ignore", nous explique Baptiste Bouthier, data-journaliste pour le quotidien français Libération, présent au séminaire.
Ce journaliste de formation classique travaille au sein de la cellule de Libération dédiée au data-journalisme "Six Plus", créée il y a deux ans, avec deux autres confrères ainsi qu'un développeur et une graphiste.
Le data-journalisme est une nouvelle façon de mettre en forme un contenu provenant de données statistiques. "L'idée est de sortir du format habituel d'un article avec titre, illustration et texte. A partir du même contenu journalistique, on propose une nouvelle mise en forme, intégrant des graphiques animés, des applications, des liens Internet, de grands visuels avec des titres intégrés, cette mise en forme serait impubliable au format papier", explique-t-il.
"La multiplication des outils technologiques a créé de nouvelles possibilités, dont le data-journalisme", souligne le journaliste français.
Baptiste Bouthier cite plusieurs exemples, dont une application en ligne proposant aux utilisateurs de trouver le candidat de la primaire de la gauche avec lequel ils ont le plus d'affinités, sur le principe de l'application de rencontre "Tinder". Autre exemple de data-journalisme développé par "Six Plus", la "liste des lâcheurs de Fillon", recensant en temps réel les défections dans le camp des Républicains lorsque François Fillon, alors candidat pour l'élection présidentielle, annonçait qu'il ne se retirait pas malgré sa mise en examen.
Dernier exemple en date, celle de "l'auberge espagnole d'Emmanuel Macron" qui, sous une forme ludique et esthétique, indique aux lecteurs les ralliements des différents responsables politiques en précisant par un code coloré, leur origine politique, allant même jusqu'à créer une "salle d'attente" fictive pour les indécis qui ne s'étaient pas encore officiellement prononcés pour le nouveau président français.
"Notre travail consiste à créer des bases de données à partir de sources existantes et accessibles mais qui sont dispersées, puis de les mettre en forme de façon attractive, car il faut reconnaître que l'affiche de données peut être rébarbative", indique Baptiste Bouthier.
Au sein de Libération, l'équipe de data-journaliste n'est pas isolée du reste de la rédaction : "Nous faisons un choix éditorial sur le sujet que l'on souhaite traiter, mais il arrive aussi qu'un journaliste "classique" de la rédaction nous fasse part d'un besoin pour mettre en forme un sujet sur lequel il travaille", souligne-t-il.
Une fois le sujet et les données collectés, l'équipe de "Six Plus" travaille en synergie. "La graphiste peut avoir une première proposition de maquette, notre développeur va ensuite dire si cela est réalisable ou non, proposer une autre façon de mettre en forme les données, et nous, journalistes, nous veillons à ce que l'angle choisi soit respecté", explique Baptiste Bouthier, précisant que la mise en ligne d'un contenu "exhaustif" serait "indigeste" pour le lecteur.
La production de data-données coûte cher pour les médias, reconnaît Baptiste Bouthier. "C'est le coût de la masse salariale", explique-t-il. Les outils créés par l'équipe de "Six Plus" se destinent aux lecteurs, mais servent également aux autres journalistes de la rédaction, qui peuvent s'en servir comme source. Ils peuvent donc être réutilisés.
Interrogé sur la perspective de robotiser les créations de bases de données, Baptiste Bouthier estime que tout ne peut pas être automatisé, d'autant que la constitution des données fait partie du travail du journaliste, qui choisit lui-même sous quel angle il les exploite.