Présidentielle : Emmanuel Macron représente la "France des insiders", estime une politologue (INTERVIEW)

Publié le 2017-04-12 à 18:58 | french.xinhuanet.com

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PARIS, 12 avril (Xinhua) -- "Le logiciel libéral d'Emmanuel Macron protège ceux qui vont déjà bien, les insiders", considère la docteure en sciences politiques Virginie Martin. Dans un entretien récemment accordé à Xinhua, la chercheuse s'interroge sur la capacité du fondateur d'En marche! à fédérer le pays et à créer une véritable majorité parlementaire pour gouverner s'il est élu à la présidence de la République française.

Au coude-à-coude dans les sondages avec Marine Le Pen, le "phénomène" Macron suscite de nombreuses interrogations. L'ancien ministre de l'Economie de François Hollande qui s'est lancé dans la course à l'Elysée a certes le vent en poupe mais bien des inconnues demeurent sur l'issue du scrutin des 23 avril et 7 mai prochains.

"Si Emmanuel Macron fait aujourd'hui sa route, c'est aussi parce que toute l'aile droite du Parti socialiste lui donne raison... C'est presque comme si 80% du spectre politique français s'était déporté vers la droite", note Virginie Martin, qui enseigne à la Kedge Business School. "François Hollande était déjà allé beaucoup à droite et avec Emmanuel Macron on a largement dépassé l'idée d'une sociale-démocratie", poursuit-elle.

"Il faut que les gens de gauche qui le rejoignent assument le fait qu'il y a une droitisation de ses positions, que le logiciel libéral d'Emmanuel Macron protège ceux qui vont déjà bien, les insiders... Ses meetings en témoignent, car ils sont remplis de jeunes cadres", ajoute la politologue.

"Il reprend les mots clés de la droite libérale, met en avant son esprit très gestionnaire, utilise un langage d'économiste technocratique... Les marqueurs de gauche sont absents de son discours. Sa position sur les chômeurs est très dure. Sans parler de son double impôt sur la fortune. On a du mal à comprendre comment cela peut véritablement séduire les électeurs de gauche... Il y a une profonde distorsion", observe Virginie Martin.

La chercheuse s'interroge sur le slogan du jeune prétendant à l'Elysée, "La France doit être une chance pour tous". "Qu'est-ce que cela veut dire exactement? Avec Emmanuel Macron, on est dans une sorte d'auto-entrepreneuriat de soi-même, mâtiné de numérique, où l'individu prime beaucoup. Mais comment faire commun, comment faire société? De cela, il ne parle jamais".

Selon Virginie Martin, Emmanuel Macron est "beaucoup plus libéral que l'ex-président Nicolas Sarkozy" et compte "gérer l'Etat comme une entreprise".

Avec son mouvement En marche!, le prétendant à l'Elysée revendique sa volonté de "transcender les clivages partisans". "Le problème avec Emmanuel Macron, c'est qu'il faut beaucoup décrypter. Il ne dit pas exactement ce qu'il est", estime la chercheuse. "Il a par exemple dans un premier temps affirmé que son mouvement n'était pas un parti politique. Mais on voit bien qu'il est dans une logique de parti politique. Désormais, plus question d'avoir plusieurs appartenances politiques pour se présenter sous l'étiquette En marche! aux législatives. Il veut ainsi s'assurer de manière pérenne une source de financement", argumente-t-elle.

Les élections législatives comportent beaucoup d'incertitudes pour Emmanuel Macron, estime la politologue. "Il a annoncé que de nombreux candidats seront issus de la société civile, sans expérience de la vie politique qui vont se retrouver face à de bons experts, des têtes connues depuis longtemps", souligne-t-elle. Avant de questionner: "Il va être obligé de faire une coalition à l'Assemblée, mais laquelle? Sur ce point non plus, il n'annonce pas la couleur".

"En réalité, il semble se diriger sans le dire vers une coalition à l'allemande avec des élus républicains et socialistes, une forme de cohabitation qui n'en serait pas vraiment une. J'ai du mal à imaginer ce que cela pourrait produire avec notre Constitution qui laisse une place importante au président...".

Le jeune prétendant à l'Elysée a d'ailleurs déclaré que "les Français n'attendent pas un président normal" et qu'il serait "un président jupitérien". Une formule qui n'a pas manqué d'interpeller les observateurs politiques.

A deux semaines du premier tour de scrutin, une chose semble déjà actée: "La candidature d'Emmanuel Macron et les primaires ont perturbé tous les clivages. Au clivage gauche/droite s'est substitué un clivage système/anti-système", estime Virginie Martin.

"Alors même que les partis vantaient la démocratie que représentaient lesdites primaires et surtout la légitimité de celui qui en sortirait vainqueur, ces mêmes organisations partisanes (ou plutôt nombre de ceux qui les peuplent) semblent déjà regretter, pour diverses raisons, les choix faits par les électeurs eux-mêmes. Et, en effet, ces choix ont plutôt favorisé le camp traditionnel à droite (par-delà les affaires judiciaires) et celui en rupture avec le gouvernement à gauche.

Un vote aujourd'hui vu comme radical alors qu'il peut paraître simplement logique", explique-t-elle.

"Ce vote semble laisser un espace béant au centre que l'ex-ministre de l'Economie de François Hollande (...) semble vouloir et pouvoir combler. Et c'est là que le sondage intervient avec toute sa force et sa puissance : il cristallise, amplifie, favorise cette logique; au départ il la mesure modestement, puis il lui donne corps", poursuit la chercheuse.

"Je pense que l'abstention sera massive. De nombreuses enquêtes le soulignent : un grand nombre d'électeurs ne se reconnaissent pas dans l'offre politique. Selon les projections, l'abstention serait même plus forte au second tour qu'au premier; cela ne s'est jamais vu. Une telle abstention montre bien que la candidature d'Emmanuel Macron, que certains vendent comme le Messie, ne suscite donc pas tant d'enthousiasme que cela", considère la politologue.

Le scrutin majoritaire masque une réalité inquiétante, ajoute-t-elle. "Quand on calcule avec quel score réel une élection est remportée, on constate que le socle de légitimité des politiques est très, très faible. Quel que soit le futur président de la République, il sera très mal élu", conclut la présidente du laboratoire politique Think Tank Different.

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Présidentielle : Emmanuel Macron représente la "France des insiders", estime une politologue (INTERVIEW)

Publié le 2017-04-12 à 18:58 | french.xinhuanet.com

PARIS, 12 avril (Xinhua) -- "Le logiciel libéral d'Emmanuel Macron protège ceux qui vont déjà bien, les insiders", considère la docteure en sciences politiques Virginie Martin. Dans un entretien récemment accordé à Xinhua, la chercheuse s'interroge sur la capacité du fondateur d'En marche! à fédérer le pays et à créer une véritable majorité parlementaire pour gouverner s'il est élu à la présidence de la République française.

Au coude-à-coude dans les sondages avec Marine Le Pen, le "phénomène" Macron suscite de nombreuses interrogations. L'ancien ministre de l'Economie de François Hollande qui s'est lancé dans la course à l'Elysée a certes le vent en poupe mais bien des inconnues demeurent sur l'issue du scrutin des 23 avril et 7 mai prochains.

"Si Emmanuel Macron fait aujourd'hui sa route, c'est aussi parce que toute l'aile droite du Parti socialiste lui donne raison... C'est presque comme si 80% du spectre politique français s'était déporté vers la droite", note Virginie Martin, qui enseigne à la Kedge Business School. "François Hollande était déjà allé beaucoup à droite et avec Emmanuel Macron on a largement dépassé l'idée d'une sociale-démocratie", poursuit-elle.

"Il faut que les gens de gauche qui le rejoignent assument le fait qu'il y a une droitisation de ses positions, que le logiciel libéral d'Emmanuel Macron protège ceux qui vont déjà bien, les insiders... Ses meetings en témoignent, car ils sont remplis de jeunes cadres", ajoute la politologue.

"Il reprend les mots clés de la droite libérale, met en avant son esprit très gestionnaire, utilise un langage d'économiste technocratique... Les marqueurs de gauche sont absents de son discours. Sa position sur les chômeurs est très dure. Sans parler de son double impôt sur la fortune. On a du mal à comprendre comment cela peut véritablement séduire les électeurs de gauche... Il y a une profonde distorsion", observe Virginie Martin.

La chercheuse s'interroge sur le slogan du jeune prétendant à l'Elysée, "La France doit être une chance pour tous". "Qu'est-ce que cela veut dire exactement? Avec Emmanuel Macron, on est dans une sorte d'auto-entrepreneuriat de soi-même, mâtiné de numérique, où l'individu prime beaucoup. Mais comment faire commun, comment faire société? De cela, il ne parle jamais".

Selon Virginie Martin, Emmanuel Macron est "beaucoup plus libéral que l'ex-président Nicolas Sarkozy" et compte "gérer l'Etat comme une entreprise".

Avec son mouvement En marche!, le prétendant à l'Elysée revendique sa volonté de "transcender les clivages partisans". "Le problème avec Emmanuel Macron, c'est qu'il faut beaucoup décrypter. Il ne dit pas exactement ce qu'il est", estime la chercheuse. "Il a par exemple dans un premier temps affirmé que son mouvement n'était pas un parti politique. Mais on voit bien qu'il est dans une logique de parti politique. Désormais, plus question d'avoir plusieurs appartenances politiques pour se présenter sous l'étiquette En marche! aux législatives. Il veut ainsi s'assurer de manière pérenne une source de financement", argumente-t-elle.

Les élections législatives comportent beaucoup d'incertitudes pour Emmanuel Macron, estime la politologue. "Il a annoncé que de nombreux candidats seront issus de la société civile, sans expérience de la vie politique qui vont se retrouver face à de bons experts, des têtes connues depuis longtemps", souligne-t-elle. Avant de questionner: "Il va être obligé de faire une coalition à l'Assemblée, mais laquelle? Sur ce point non plus, il n'annonce pas la couleur".

"En réalité, il semble se diriger sans le dire vers une coalition à l'allemande avec des élus républicains et socialistes, une forme de cohabitation qui n'en serait pas vraiment une. J'ai du mal à imaginer ce que cela pourrait produire avec notre Constitution qui laisse une place importante au président...".

Le jeune prétendant à l'Elysée a d'ailleurs déclaré que "les Français n'attendent pas un président normal" et qu'il serait "un président jupitérien". Une formule qui n'a pas manqué d'interpeller les observateurs politiques.

A deux semaines du premier tour de scrutin, une chose semble déjà actée: "La candidature d'Emmanuel Macron et les primaires ont perturbé tous les clivages. Au clivage gauche/droite s'est substitué un clivage système/anti-système", estime Virginie Martin.

"Alors même que les partis vantaient la démocratie que représentaient lesdites primaires et surtout la légitimité de celui qui en sortirait vainqueur, ces mêmes organisations partisanes (ou plutôt nombre de ceux qui les peuplent) semblent déjà regretter, pour diverses raisons, les choix faits par les électeurs eux-mêmes. Et, en effet, ces choix ont plutôt favorisé le camp traditionnel à droite (par-delà les affaires judiciaires) et celui en rupture avec le gouvernement à gauche.

Un vote aujourd'hui vu comme radical alors qu'il peut paraître simplement logique", explique-t-elle.

"Ce vote semble laisser un espace béant au centre que l'ex-ministre de l'Economie de François Hollande (...) semble vouloir et pouvoir combler. Et c'est là que le sondage intervient avec toute sa force et sa puissance : il cristallise, amplifie, favorise cette logique; au départ il la mesure modestement, puis il lui donne corps", poursuit la chercheuse.

"Je pense que l'abstention sera massive. De nombreuses enquêtes le soulignent : un grand nombre d'électeurs ne se reconnaissent pas dans l'offre politique. Selon les projections, l'abstention serait même plus forte au second tour qu'au premier; cela ne s'est jamais vu. Une telle abstention montre bien que la candidature d'Emmanuel Macron, que certains vendent comme le Messie, ne suscite donc pas tant d'enthousiasme que cela", considère la politologue.

Le scrutin majoritaire masque une réalité inquiétante, ajoute-t-elle. "Quand on calcule avec quel score réel une élection est remportée, on constate que le socle de légitimité des politiques est très, très faible. Quel que soit le futur président de la République, il sera très mal élu", conclut la présidente du laboratoire politique Think Tank Different.

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