En Lorraine, la désindustrialisation a fait le lit du Front national (INTERVIEW)

Publié le 2017-03-17 à 17:11 | french.xinhuanet.com

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PARIS, 17 mars (Xinhua) -- Dans un récent entretien à Xinhua, le vice-président du Conseil économique, social et environnemental de Lorraine (CESEL), Gilbert Krausener, a expliqué comment la fermeture des usines sidérurgiques et des mines de charbon et de fer de cette région autrefois prospère a entraîné la paupérisation d'une grande partie de la population qui s'est tournée vers un vote d'extrême droite.

En 25 ans, la France a perdu pas moins d'un million et demi d'emplois industriels tant et si bien qu'elle est aujourd'hui l'un des pays les moins industrialisés des économies développées selon l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Près de 1.900 sites industriels ont été fermés depuis la crise de 2008. La Lorraine, dans le nord est du pays, est une région particulièrement touchée par cette désindustrialisation au point qu'elle est parfois comparée, toutes proportions gardées, à la "Rust Belt" américaine, cette "ceinture de la rouille" qui a massivement voté en faveur de Donald Trump.

"Il y a 40 ans, en Lorraine, la sidérurgie employait pas moins de 100.000 personnes, les mines de charbon près de 38.000, le textile environ 50.000. Deux emplois sur trois se concentraient dans ces industries de base. De nos jours, ces secteurs ne représentent plus que 7.000 à 8.000 emplois", raconte le vice-président du CESEL. "La région était très attractive, le PIB était de 3-4 points supérieur à la moyenne française. Elle comptait 2,3 millions d'habitants, soit à peine moins qu'aujourd'hui !", précise-t-il.

"La fermeture des usines a provoqué un triple choc démographique, social et économique. Son impact a été largement sous-estimé à l'époque par nos dirigeants. Les villes de Florange et de Hayange, dans le département de la Moselle, symbolisent parfaitement bien la crise qu'a connue et que connaît cette région", explique Gilbert Krausener, qui a travaillé au Centre de recherche et développement ArcelorMittal de Gandrange, grande aciérie fermée en 2009 malgré les promesses du président Sarkozy.

Florange a connu le même sort quelques années plus tard. En 2011, ArcelorMittal a annoncé la "mise en veille conjoncturelle, temporaire et provisoire" de son usine de Florange. S'est alors engagée une épreuve de force entre l'Etat français et le géant de l'acier, qui a néanmoins mis définitivement à l'arrêt les hauts fourneaux de Florange en avril 2013.

"De 2000 à 2013, la zone d'emploi du secteur Hayange-Thionville a perdu 34% d'emploi industriel. Si à Hayange le taux de pauvreté reste limité à 15,6%, c'est grâce au réacteur économique qu'est le Luxembourg voisin où pas moins de 90.000 Lorrains vont travailler chaque jour. La conséquence, c'est que beaucoup de ces villes frontalières sont devenues des cités dortoirs", relève M. Krausener. Et de poursuivre : "Dans d'autres secteurs, les pertes d'emploi sont encore plus considérables, comme à Luneville (63%) ou à Longwy (60%). A Forbach, le taux de pauvreté s'élève à 30%, près de 50% chez les jeunes de moins de 30 ans."

"Le FN exploite ces situations de manière démagogique et dangereuse selon moi", déplore le vice-président du CESEL. "La progression de l'extrême droite dans le nord-est de la France est principalement liée à la désindustrialisation. Le FN joue sur la peur de la mondialisation et la peur de l'autre ; il focalise son discours sur les immigrés, la sortie de l'euro... Ce sont des non-sens terribles. Ce parti exploite le sentiment d'abandon d'une partie de la population qui, écoeurée par les scandales politiques, exprime sa colère en votant FN pour donner une leçon aux partis traditionnels et qui, désabusée, se dit que cela ne peut pas être pire", analyse-t-il.

"Il faut au contraire redonner de l'espoir aux gens et s'attaquer au cœur du problème : comment on fait la transition énergétique, comment on forme mieux nos jeunes, comment on réorganise ces territoires", plaide le responsable politique. "Cela passe par une véritable politique d'aménagement du territoire. Or, on n'en a plus vraiment en France. Les petites métropoles ont du mal à se faire entendre", déplore-t-il. "Pour ces territoires qui ont besoin d'être aidés, il faut faire du sur-mesure pour permettre leur reconversion", ajoute-t-il.

L'ancien conseiller municipal de Metz, capitale historique et pôle économique de la Lorraine, ne donne pas pour autant dans la sinistrose. Il insiste sur le travail réalisé dans sa ville pour "se diriger vers une économie de la connaissance".

"La région a du potentiel. Nous avons créé un institut de recherche sur les matériaux et l'énergie, nous investissons dans la recherche et le développement. Nous avons de vrais atouts en termes d'enseignement supérieur, d'innovation et de recherche. Nous avons de l'espace, des infrastructures de très bonne qualité, un environnement agréable. Beaucoup d'entreprises allemandes sont d'ailleurs installées en Lorraine", met en avant Gilbert Krausener, qui est également vice-président chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche à Metz-Métropole.

french.xinhuanet.com

En Lorraine, la désindustrialisation a fait le lit du Front national (INTERVIEW)

Publié le 2017-03-17 à 17:11 | french.xinhuanet.com

PARIS, 17 mars (Xinhua) -- Dans un récent entretien à Xinhua, le vice-président du Conseil économique, social et environnemental de Lorraine (CESEL), Gilbert Krausener, a expliqué comment la fermeture des usines sidérurgiques et des mines de charbon et de fer de cette région autrefois prospère a entraîné la paupérisation d'une grande partie de la population qui s'est tournée vers un vote d'extrême droite.

En 25 ans, la France a perdu pas moins d'un million et demi d'emplois industriels tant et si bien qu'elle est aujourd'hui l'un des pays les moins industrialisés des économies développées selon l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Près de 1.900 sites industriels ont été fermés depuis la crise de 2008. La Lorraine, dans le nord est du pays, est une région particulièrement touchée par cette désindustrialisation au point qu'elle est parfois comparée, toutes proportions gardées, à la "Rust Belt" américaine, cette "ceinture de la rouille" qui a massivement voté en faveur de Donald Trump.

"Il y a 40 ans, en Lorraine, la sidérurgie employait pas moins de 100.000 personnes, les mines de charbon près de 38.000, le textile environ 50.000. Deux emplois sur trois se concentraient dans ces industries de base. De nos jours, ces secteurs ne représentent plus que 7.000 à 8.000 emplois", raconte le vice-président du CESEL. "La région était très attractive, le PIB était de 3-4 points supérieur à la moyenne française. Elle comptait 2,3 millions d'habitants, soit à peine moins qu'aujourd'hui !", précise-t-il.

"La fermeture des usines a provoqué un triple choc démographique, social et économique. Son impact a été largement sous-estimé à l'époque par nos dirigeants. Les villes de Florange et de Hayange, dans le département de la Moselle, symbolisent parfaitement bien la crise qu'a connue et que connaît cette région", explique Gilbert Krausener, qui a travaillé au Centre de recherche et développement ArcelorMittal de Gandrange, grande aciérie fermée en 2009 malgré les promesses du président Sarkozy.

Florange a connu le même sort quelques années plus tard. En 2011, ArcelorMittal a annoncé la "mise en veille conjoncturelle, temporaire et provisoire" de son usine de Florange. S'est alors engagée une épreuve de force entre l'Etat français et le géant de l'acier, qui a néanmoins mis définitivement à l'arrêt les hauts fourneaux de Florange en avril 2013.

"De 2000 à 2013, la zone d'emploi du secteur Hayange-Thionville a perdu 34% d'emploi industriel. Si à Hayange le taux de pauvreté reste limité à 15,6%, c'est grâce au réacteur économique qu'est le Luxembourg voisin où pas moins de 90.000 Lorrains vont travailler chaque jour. La conséquence, c'est que beaucoup de ces villes frontalières sont devenues des cités dortoirs", relève M. Krausener. Et de poursuivre : "Dans d'autres secteurs, les pertes d'emploi sont encore plus considérables, comme à Luneville (63%) ou à Longwy (60%). A Forbach, le taux de pauvreté s'élève à 30%, près de 50% chez les jeunes de moins de 30 ans."

"Le FN exploite ces situations de manière démagogique et dangereuse selon moi", déplore le vice-président du CESEL. "La progression de l'extrême droite dans le nord-est de la France est principalement liée à la désindustrialisation. Le FN joue sur la peur de la mondialisation et la peur de l'autre ; il focalise son discours sur les immigrés, la sortie de l'euro... Ce sont des non-sens terribles. Ce parti exploite le sentiment d'abandon d'une partie de la population qui, écoeurée par les scandales politiques, exprime sa colère en votant FN pour donner une leçon aux partis traditionnels et qui, désabusée, se dit que cela ne peut pas être pire", analyse-t-il.

"Il faut au contraire redonner de l'espoir aux gens et s'attaquer au cœur du problème : comment on fait la transition énergétique, comment on forme mieux nos jeunes, comment on réorganise ces territoires", plaide le responsable politique. "Cela passe par une véritable politique d'aménagement du territoire. Or, on n'en a plus vraiment en France. Les petites métropoles ont du mal à se faire entendre", déplore-t-il. "Pour ces territoires qui ont besoin d'être aidés, il faut faire du sur-mesure pour permettre leur reconversion", ajoute-t-il.

L'ancien conseiller municipal de Metz, capitale historique et pôle économique de la Lorraine, ne donne pas pour autant dans la sinistrose. Il insiste sur le travail réalisé dans sa ville pour "se diriger vers une économie de la connaissance".

"La région a du potentiel. Nous avons créé un institut de recherche sur les matériaux et l'énergie, nous investissons dans la recherche et le développement. Nous avons de vrais atouts en termes d'enseignement supérieur, d'innovation et de recherche. Nous avons de l'espace, des infrastructures de très bonne qualité, un environnement agréable. Beaucoup d'entreprises allemandes sont d'ailleurs installées en Lorraine", met en avant Gilbert Krausener, qui est également vice-président chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche à Metz-Métropole.

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