Marine Le Pen n'est pas une Donald Trump à la française (ANALYSE)

Publié le 2016-12-31 à 14:30 | french.xinhuanet.com

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Par Claudine Girod-Boos

PARIS, 31 décembre (Xinhua) -- Si la progression de l'extrême droite dans l'Hexagone est indéniable, voir en l'égérie du Front national Marine Le Pen une Donald Trump à la française capable de remporter l'élection présidentielle en 2017 relève d'une méconnaissance des systèmes et de la culture politiques des deux pays.

Depuis la victoire du Brexit au Royaume-Uni en juin, l'élection surprise de Donald Trump à la tête des Etats-Unis en novembre, les résultats du référendum italien en décembre, chacun scrute sa boule de cristal et échafaude toutes sortes de scénarios de fiction politique. Dans ce contexte, la présidentielle française, une des grandes échéances électorales en 2017, cristallise l'émotion dans un climat de catastrophisme où l'irrationalité prime sur l'analyse.

Des sondeurs qui se sont trompés, des éditorialistes politiques qui n'ont rien vu venir, des réseaux sociaux qui auraient biaisé les résultats des élections, un électorat déboussolé, des élites déconnectées des réalités des citoyens, un establishment corrompu, de multiples fractures sociales, un accroissement des inégalités, une crise de la démocratie (...) Autant de facteurs d'instabilité qui font dire à certains que désormais tout est possible et que Marine Le Pen, forte de ses derniers succès dans les urnes, pourrait être en passe de devenir la Donald Trump française.

C'est aller bien vite en besogne comme l'a rappelé le 12 novembre dernier sur le site indépendant Médiapart le politologue Joël Gombin, spécialiste de sociologie et de géographie électorales, qui vient de publier "Le Front national" (Ed. Eyrolles). "La comparaison entre le futur président états-unien et la présidente du Front national est d'abord rendue difficile par les différences, majeures, entre les systèmes politiques des deux pays ainsi qu'entre leurs contextes sociaux et politiques", écrit-il.

"L'histoire n'est pas linéaire et écrite d'avance: considérer que des événements se déroulant dans des contextes aussi différents que le Brexit ou l'élection de Trump annoncent la victoire de Marine Le Pen lors de la prochaine élection présidentielle française relève un peu de la pensée magique", note d'abord ce membre de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès.

"Le mode de scrutin présidentiel américain, à un seul tour, ne rend possible que deux partis principaux et deux candidats crédibles à l'élection présidentielle. A l'inverse, le mode de scrutin majoritaire à deux tours pratiqué en France permet, même s'il ne le favorise pas, l'existence de forces tierces qui viennent perturber le jeu politique et électoral. Dans ce contexte, si Marine Le Pen peut réaliser un score important au premier tour, l'emporter au second tour constitue un défi d'une autre nature, car si elle parvient à se qualifier pour le second tour, elle sera immanquablement combattue par les deux partis adverses", résume le chercheur.

"Nous sommes dans un climat où règne beaucoup d'irrationnel", explique à Xinhua la spécialiste de droit européen Frédérique Berrod, professeure à Sciences Po à Strasbourg et au collège d'Europe de Bruges (Belgique), pour qui cela relève "de l'ordre du fantasme".

L'hypothèse que Marine Le Pen arrive au second tour de l'élection présidentielle, comme son père en 2002, reste certes tout-à-fait plausible. "Mais je ne pense pas que Marine Le Pen ait la réserve de voix pour accéder au second tour et qu'elle puisse aller chercher des voix au centre", ajoute-t-elle.

Interrogé par Xinhua, Philippe Pelletier, docteur en géographie, enseignant chercheur à l'Université Lyon 2, partage ce point de vue. "Le système politique français, ce n'est pas le système américain; la culture politique non plus n'est pas la même. Les histoires sociales et politiques des deux pays sont profondément différentes", rappelle-t-il.

"La gauche a tellement déçu son électorat (...) Dans un climat d'insécurité sur le terrorisme comme sur les questions environnementales, relayé bien souvent par des discours catastrophistes, le tout sur fond de question identitaire, le FN ramasse la mise", poursuit-il, tout en notant que "Marine Le Pen ne peut pas gouverner".

Joël Gombin insiste par ailleurs sur le fait que "Donald Trump, quel que soit le personnage qu'il s'est construit et quelles qu'aient pu être les oppositions qu'il a rencontrées au sein de l'establishment républicain, était le candidat d'un des deux grands partis. Marine Le Pen, elle, est la candidate d'un parti qui occupe une position tierce dans le champ politique français. Ce parti est certes porté par une dynamique électorale solide".

"En France, l'imaginaire universaliste républicain n'a pas fait historiquement émerger la dimension ethnique comme un déterminant du vote, même si on commence à avoir des indices laissant supposer que le FN contribue à ou bénéficie d'une ethnicisation progressive des comportements électoraux", ajoute encore le chercheur.

Les affiches de campagne de Marine Le Pen surfent sur "l'idée que les migrants sont mieux traités que les Français", souligne en effet Frédérique Berrod. Mais Marine Le Pen, contrairement à Donald Trump et à ses outrances langagières, prend garde de ne pas déraper dans ses discours sur le plan idéologique. Elle s'efforce de donner une image calme et souriante, à l'inverse de la stratégie de provocation médiatique de son père Jean-Marie, dont les références douteuses à la Seconde Guerre mondiale et aux guerres coloniales ont plus d'une fois défrayé la chronique, lui valant de multiples condamnations en justice.

Les adversaires du Front national affirment que Marine Le Pen, de par cette stratégie de "dédiabolisation", serait "plus dangereuse que son père", car elle permettrait une "banalisation" du parti d'extrême droite et élargirait sa base électorale.

"Je ne souscris pas à cette idée de dédiabolisation, car cela laisse sous-entendre que le FN a pris un véritable virage idéologique. Je pense que non. Selon moi, cela s'inscrit plutôt dans un rééquilibrage des stratégies et des forces sociales en lien avec l'évolution de la société française qui explique le recentrage anticapitaliste, protectionniste et souverainiste dans le discours du FN. Mais le fond de commerce reste le même", avance le professeur Philippe Pelletier.

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Marine Le Pen n'est pas une Donald Trump à la française (ANALYSE)

Publié le 2016-12-31 à 14:30 | french.xinhuanet.com

Par Claudine Girod-Boos

PARIS, 31 décembre (Xinhua) -- Si la progression de l'extrême droite dans l'Hexagone est indéniable, voir en l'égérie du Front national Marine Le Pen une Donald Trump à la française capable de remporter l'élection présidentielle en 2017 relève d'une méconnaissance des systèmes et de la culture politiques des deux pays.

Depuis la victoire du Brexit au Royaume-Uni en juin, l'élection surprise de Donald Trump à la tête des Etats-Unis en novembre, les résultats du référendum italien en décembre, chacun scrute sa boule de cristal et échafaude toutes sortes de scénarios de fiction politique. Dans ce contexte, la présidentielle française, une des grandes échéances électorales en 2017, cristallise l'émotion dans un climat de catastrophisme où l'irrationalité prime sur l'analyse.

Des sondeurs qui se sont trompés, des éditorialistes politiques qui n'ont rien vu venir, des réseaux sociaux qui auraient biaisé les résultats des élections, un électorat déboussolé, des élites déconnectées des réalités des citoyens, un establishment corrompu, de multiples fractures sociales, un accroissement des inégalités, une crise de la démocratie (...) Autant de facteurs d'instabilité qui font dire à certains que désormais tout est possible et que Marine Le Pen, forte de ses derniers succès dans les urnes, pourrait être en passe de devenir la Donald Trump française.

C'est aller bien vite en besogne comme l'a rappelé le 12 novembre dernier sur le site indépendant Médiapart le politologue Joël Gombin, spécialiste de sociologie et de géographie électorales, qui vient de publier "Le Front national" (Ed. Eyrolles). "La comparaison entre le futur président états-unien et la présidente du Front national est d'abord rendue difficile par les différences, majeures, entre les systèmes politiques des deux pays ainsi qu'entre leurs contextes sociaux et politiques", écrit-il.

"L'histoire n'est pas linéaire et écrite d'avance: considérer que des événements se déroulant dans des contextes aussi différents que le Brexit ou l'élection de Trump annoncent la victoire de Marine Le Pen lors de la prochaine élection présidentielle française relève un peu de la pensée magique", note d'abord ce membre de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès.

"Le mode de scrutin présidentiel américain, à un seul tour, ne rend possible que deux partis principaux et deux candidats crédibles à l'élection présidentielle. A l'inverse, le mode de scrutin majoritaire à deux tours pratiqué en France permet, même s'il ne le favorise pas, l'existence de forces tierces qui viennent perturber le jeu politique et électoral. Dans ce contexte, si Marine Le Pen peut réaliser un score important au premier tour, l'emporter au second tour constitue un défi d'une autre nature, car si elle parvient à se qualifier pour le second tour, elle sera immanquablement combattue par les deux partis adverses", résume le chercheur.

"Nous sommes dans un climat où règne beaucoup d'irrationnel", explique à Xinhua la spécialiste de droit européen Frédérique Berrod, professeure à Sciences Po à Strasbourg et au collège d'Europe de Bruges (Belgique), pour qui cela relève "de l'ordre du fantasme".

L'hypothèse que Marine Le Pen arrive au second tour de l'élection présidentielle, comme son père en 2002, reste certes tout-à-fait plausible. "Mais je ne pense pas que Marine Le Pen ait la réserve de voix pour accéder au second tour et qu'elle puisse aller chercher des voix au centre", ajoute-t-elle.

Interrogé par Xinhua, Philippe Pelletier, docteur en géographie, enseignant chercheur à l'Université Lyon 2, partage ce point de vue. "Le système politique français, ce n'est pas le système américain; la culture politique non plus n'est pas la même. Les histoires sociales et politiques des deux pays sont profondément différentes", rappelle-t-il.

"La gauche a tellement déçu son électorat (...) Dans un climat d'insécurité sur le terrorisme comme sur les questions environnementales, relayé bien souvent par des discours catastrophistes, le tout sur fond de question identitaire, le FN ramasse la mise", poursuit-il, tout en notant que "Marine Le Pen ne peut pas gouverner".

Joël Gombin insiste par ailleurs sur le fait que "Donald Trump, quel que soit le personnage qu'il s'est construit et quelles qu'aient pu être les oppositions qu'il a rencontrées au sein de l'establishment républicain, était le candidat d'un des deux grands partis. Marine Le Pen, elle, est la candidate d'un parti qui occupe une position tierce dans le champ politique français. Ce parti est certes porté par une dynamique électorale solide".

"En France, l'imaginaire universaliste républicain n'a pas fait historiquement émerger la dimension ethnique comme un déterminant du vote, même si on commence à avoir des indices laissant supposer que le FN contribue à ou bénéficie d'une ethnicisation progressive des comportements électoraux", ajoute encore le chercheur.

Les affiches de campagne de Marine Le Pen surfent sur "l'idée que les migrants sont mieux traités que les Français", souligne en effet Frédérique Berrod. Mais Marine Le Pen, contrairement à Donald Trump et à ses outrances langagières, prend garde de ne pas déraper dans ses discours sur le plan idéologique. Elle s'efforce de donner une image calme et souriante, à l'inverse de la stratégie de provocation médiatique de son père Jean-Marie, dont les références douteuses à la Seconde Guerre mondiale et aux guerres coloniales ont plus d'une fois défrayé la chronique, lui valant de multiples condamnations en justice.

Les adversaires du Front national affirment que Marine Le Pen, de par cette stratégie de "dédiabolisation", serait "plus dangereuse que son père", car elle permettrait une "banalisation" du parti d'extrême droite et élargirait sa base électorale.

"Je ne souscris pas à cette idée de dédiabolisation, car cela laisse sous-entendre que le FN a pris un véritable virage idéologique. Je pense que non. Selon moi, cela s'inscrit plutôt dans un rééquilibrage des stratégies et des forces sociales en lien avec l'évolution de la société française qui explique le recentrage anticapitaliste, protectionniste et souverainiste dans le discours du FN. Mais le fond de commerce reste le même", avance le professeur Philippe Pelletier.

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