Crise migratoire : l'accord entre la Turquie et l'UE pose un problème éthique et d'opérationnalité, selon un chercheur français
Publié le 2016-03-24 à 07:14 | french.xinhuanet.com

PARIS, 23 mars (Xinhua) -- Selon François Gemenne, spécialiste français des migrations, l'accord sur la crise migratoire entre la Turquie et l'Union européenne (UE) est "illégal et pose un problème éthique et d'opérationnalité".
Cet accord signé vendredi dernier à Bruxelles entre la Turquie et l'UE sur la crise migratoire prévoit de renvoyer les migrants qui arrivent en Grèce vers Ankara. Mais selon M. Gemenne, chercheur à Sciences Po Paris, il s'agit d'un accord "illégal parce qu'il viole le principe du non refoulement qui est un élément essentiel de la convention de Genève".
Cette convention précise que "chaque personne qui cherche asile doit pouvoir effectuer une demande d'asile dans le pays dans lequel il arrive. Or, en renvoyant tous les bateaux vers la Turquie, l'UE va violer ce principe de non refoulement ", explique à Xinhua le chercheur.
Cet accord pose également un problème éthique, selon lui, "parce qu'il y a une grande difficulté avec l'idée d'échanger un réfugié contre un autre réfugié comme si ces personnes étaient des marchandises et l'UE ne peut pas se déchausser de sa responsabilité en sous-traitant le problème à d'autres pays, de surcroît la Turquie".
Par ailleurs, le chercheur français estime que cet accord entre la Turquie et l'UE pose un problème opérationnel. Par exemple, s'interroge M. Gemenne, "que va-t-on faire des enfants ? Qu'est-ce qu'on fait des bateaux qui ne proviennent pas de Turquie? Des bateaux qui n'arriveraient pas en Grèce mais à Chypre par exemple ? Qu'est-ce qu'on fait des réfugiés qui sont déjà en Grèce ? "
Autant de questions auxquelles l'accord n'apporte pas de réponse, selon le chercheur qui dit craindre qu'"à terme, la Grèce devienne le port de réfugiés de l'Europe et que d'autres zones migratoires s'ouvrent".
Pour le spécialiste, il n'est pas étonnant que la Turquie obtient à travers cet accord, l'essentiel de ce qu'elle a posé comme condition, car la Turquie "accueille le plus grand nombre de refugiés au monde et l'UE veut absolument se débarrasser du problème des refugiés qui commence à mettre en péril sa cohérence et son unité ".
La Turquie a donc obtenu une extension de visas pour ses ressortissants, ce qui est une victoire majeure pour le gouvernement turc, a estimé M. Gemenne.
Elle a également obtenu "beaucoup d'argent, une relance de son processus d'adhésion dans l'UE. Et le plus important et qui ne figure pas dans l'accord c'est que l'UE va fermer les yeux sur les violations des droits de l'homme et les atteintes à la liberté en Turquie ", a-t-il ajouté.
Cependant, la Turquie ne pourra pas garantir une protection des réfugiés, conforme au droit international, les normes que sont le principe de non refoulement, le principe de traitement juste équitable et individualisé des demandeurs d'asile, n'étant déjà pas respectées dans beaucoup de pays européen, a indiqué le chercheur.
"Malheureusement le droit international est assez secondaire dans ce dossier qui est devenu exclusivement politique. Les conventions internationales excluent tout envoi de refugiés vers des pays qui ne sont pas considérés comme sûrs. Il me parait difficile dans l'état actuel, de considérer la Turquie comme un pays sûr encore moins les pays comme l'Afghanistan, l'Irak, l'Erythrée, dans lesquels la Turquie va renvoyer les demandeurs d'asile déboutés ", analyse M. Gemenne.
Il prévient dans la même lancée que cet accord ne peut freiner le flux migratoire vers l'Europe, au contraire, "les migrants et les réfugiés vont plutôt devoir prendre d'autres routes migratoires plus longues, plus dangereuses et plus coûteuses. Ce qui va aussi favoriser le business des passeurs ", a-t-il averti.
Comme alternative à ce problème des migrants et réfugiés, le chercheur invite l'UE à imiter l'exemple du Canada qui "commence à délivrer des visas humanitaires pour les réfugiés coincés dans les camps en Turquie mais aussi au Liban, en Jordanie et en Syrie. Cela aurait permis de faire du problème pas seulement un problème européen mais une question globalisée qui va impliquer d'autres pays industrialisées", a dit François Gemenne.
Lire aussi :
Accord UE-Turquie : le HCR demande le respect du droit des réfugiés et des migrants
GENEVE, 18 mars (Xinhua) -- Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a pris note vendredi de l'accord conclu le même jour entre l'Union européenne (UE) et la Turquie pour faire face aux flux de réfugiés et de migrants arrivant en Europe en passant par la Turquie.








