(Xinhua/Li Jing)
DAKAR, 8 avril, (Xinhua) -- La lutte avec frappe est un sport national au Sénégal et les combats sont de grands événements sportifs qui mobilisent amateurs, médias, sponsors, etc. Mais sa modernisation et sa popularité lui ont enlevé un peu du caractère traditionnel et folklorique qui faisait son charme pour les puristes.
Le combat organisé dimanche dernier, au lendemain de la célébration du 55ème anniversaire de l'indépendance du Sénégal, n'a pas échappé à la règle.
Organisé dans un stade de football, aménagé en une arène circulaire couverte de sable et délimité par des sacs de sable, le combat entre Eumeu Sène et Balla Gaye 2, a baigné dans une ambiance de fête. Il n'a manqué au spectacle d'avant combat, ni les danses des lutteurs rivalisant de créations chorégraphiques, ni les prestations des danseuses traditionnelles, ni les chants des griots au rythme des tam-tams, devant les caméras des télévisions.
On est bien loin des combats traditionnels qui opposaient les jeunes dans les villages à la fin des récoltes, la nuit au clair de lune, à la fin de saison des pluies. Combats de lutte simple ( c'est-à-dire sans coups de poing) dont le vainqueur du tournoi remportait un sac de sucre ou de riz, un boeuf, etc.
Aujourd'hui, la lutte avec frappe fabrique des millionnaires plus rapidement que le football professionnel local. Un combat entre grands ténors se négocie au moins à 100 millions de francs CFA pour chaque lutteur. Il peut durer moins de trois minutes comme cela été le cas dimanche entre Eumeu et Balla.
La lutte avec frappe ne se pratique qu'au Sénégal. Elle s' apparente à la lutte gréco-romaine, au sumo et au judo, pour les prises, avec en plus - ce qui fait son originalité - l' autorisation des coups de poings, comme à la boxe, mais à mains nus.
Il y a chute lorsque l'adversaire est mis KO d'un coup de poing, si sa tête, son postérieur ou son dos touche le sol ou lorsque l'un des deux adversaires ne présente plus les conditions physiques pour continuer le combat.
Selon le journaliste sportif sénégalais, Serigne Mour, "avant, le lutteur empruntait un pagne qu'il nouait autour des reins. Quand il perdait son combat on disait que la propriétaire du pagne ne lui porte pas chance et quand il gagnait ça pouvait aboutir au mariage".
Dans son livre, "La lutte sénégalaise", Serigne Mour affirme que "le premier combat de lutte avec frappe a eu lieu à Dakar en 1926, à l'initiative d'un patron français de comptoir commercial, Maurice Jaquin, qui tenait un club de boxe". Cette forme de lutte a été érigée en discipline sportive en 1969.
"On gagnait 200.000, parfois 300.000 FCFA parce que les organisateurs finançaient les combats sur fonds propres", souligne le journaliste rappelant que "c'est en 1972 qu'un lutteur a obtenu, pour la première fois, un cachet d'un million".
"Maintenant avec les sponsors, les cachets peuvent atteindre ou dépasser les 100 millions", relève-t-il.
Mais l'ancien lutteur Max Mbergane regrette cette situation: "à cause de l'argent, les marabouts font croire aux lutteurs qu'ils peuvent gagner en atteignant mystiquement leurs adversaires".
Les rituels mystiques font partie du spectacle. Les lutteurs arrivent dans l'arène, accompagnés d'un cortège de marabouts, bardés de gris-gris autour des reins, des bras, des jambes et de la tête. Ils ne commencent jamais le combat sans prendre un bain d' eau bénite, de potions, de décoctions et même de lait caillé pour conjurer le mauvais sort et assurer la victoire.
Pour Max Mbergane, "le mystique ne représente que 20% dans la lutte, il faut d'abord de la force et du courage".
Il déplore la pauvreté des chorégraphies actuelles : "les griots entonnaient des chansons qui rappelaient les prouesses du lutteur pour intimider son adversaire et les lutteurs exécutaient des danses traditionnelles en utilisant douze pagnes avec lesquels ils formaient une sorte de jupe".
Au Sénégal, les combats de lutte sont organisés tout au long de l'année, sauf en période de ramadan, généralement le weekend.
La lutte est devenue au cours des dernières années plus populaire que le football. "Près de 8.000 lutteurs ont une licence du Comité national de gestion de la lutte créé en 1994, mais seulement 600 d'entre eux décrochent un combat dans l'année", souligne Max Mbergane qui conseille aux jeunes lutteurs "d'avoir un autre métier pour gagner leur vie puisqu'il y en a beaucoup qui passent des années blanches".